Retour au numéro
Vue 41 fois
28 septembre 2003

Les problèmes juridiques liés a l'Euro

Publié par Marianne Lévy-Rosenwald | N° 12 - L'Euro : Un défi pour la France

par Marianne Lévy-Rosenwald, chef du service juridique et de l’Agence Judiciaire du Trésor, responsable du sous-groupe juridique à la mission interministérielle Euro


Les réflexions sur les modalités pratiques de passage à l'Euro pour les entreprises, les banques, les administrations ou les consommateurs s'insèrent dans un dispositif juridique précis, défini au niveau communautaire. Les grandes lignes de ce dispositif ont été tracées au Conseil européen de Madrid des 15 et 16 décembre 1995. Elles ont été précisées dans deux projets de règlements communautaires approuvés à Dublin un an plus tard.
Les conclusions du conseil de Madrid établissent ce qu'on a appelé le « scénario de référence » :
• l'Euro deviendra une monnaie à part entière le 1 el janvier 1999, date à laquelle l'Écu panier officiel cessera d'exister;
• tant que subsisteront des unités monétaires différentes, une équivalence juridiquement contraignante sera établie entre l'Euro et les unités monétaires nationales;
• les monnaies nationales et l'Euro deviendront des expressions différentes d'une monnaie identique sur le plan économique;
• pendant cette période transitoire, les opérateurs économiques privés auront la faculté d'utiliser l'Euro; ils ne devraient par pour autant y être contraints.
• le remplacement des monnaies nationales par l'Euro ne devra pas affecter, en soi, la continuité des contrats, sauf si ceux-ci en disposent autrement;
• dans le cas des contrats libellés par référence à l'Écu panier, le remplacement par l'Euro se fera à raison de un Euro pour un Écu, sauf si ces contrats en disposent autrement.
Pour ma part, je suivrai le déroulement chronologique du scénario de basculement en distinguant trois types de dispositions :
﷓ celles applicables à partir du 1/1/1999 sans limitation de durée
﷓ celles relatives à la seule période transitoire 1999﷓2002
﷓ les mesures entrant en vigueur à partir du 1/1/2002.

A partir du 1 ﷓ janvier 1999

L’Euro devient la seule monnaie officielle des pays membres participants. L'article 2 du projet de règlement communautaire sur l'introduction de l'Euro prévoit que « la monnaie des Etats membres participants est l'Euro. L’unité monétaire est un Euro. Un Euro est divisé en cent subdivisions appelées cent ».
Les parités entre l'Euro et les anciennes monnaies nationales sont irrévocablement fixées. Ces taux s'expriment avec six chiffres significatifs ce qui fait que la parité Euro﷓Franc comprendra cinq décimales. 'Les règles d'arrondi sont prévues à l'issue des opérations de conversion.
Ces taux de conversion officiels ont bien entendu une signification économique. Ils ont également une très grande importance juridique. En effet, ils établissent le lien récurrent prévu par toute loi monétaire entre la nouvelle et l'ancienne monnaie qui permet de garantir la continuité des contrats conformément au principe du nominalisme. En effet, la fixation par un Etat du taux de conversion entre deux monnaies successives fait présumer irréfragablement le rapport de leurs valeurs.
Toujours au 1er janvier 1999, l'Écu est remplacé par l'Euro au taux de 1 pour 1 . Ce basculement était déjà prévu dans deux articles du Traité CE. L'article 2 du projet de règlement communautaire concernant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'Euro réaffirme la continuité Écu/Euro lors de la transformation de l'Écu﷓panier en monnaie unique au taux de 1 pour 1. Afin d'assurer l'application de cette règle à l'Écu utilisé par les opérateurs dans leurs relations de droit privé, l'article institue également une présomption selon laquelle les parties utilisant l'Écu, sans le définir expressément, sont réputées faire référence à un Écu identique à l'Écu officiel. Le 1er janvier 1999, toutes les références à l'Écu panier sont donc « automatiquement » remplacées -sous réserve de la volonté contraire des parties- par un Euro, au taux de 1 Écu pour un Euro.
Dans un même souci de sécurité juridique, l'article 3 du projet de règlement fixant certaines



Cliquez pour agrandir
Figure n°1 :


dispositions relatives à l'introduction de l'Euro prévoit de manière stricte le principe de continuité des contrats. Cependant, l'analyse juridique est différente selon que le contrat est national ou international.

1 . Les contrats nationaux

Cette règle consacre une solution généralement acceptée dans les différents ordres juridiques nationaux. Elle s'applique à tous les contrats y compris ceux qui portent exclusivement sur des taux d'intérêt tels que les swaps de devises nationales remplacées par l'Euro, sauf bien entendu convention contraire des parties.

2. Les contrats internationaux

La spécificité des contrats internationaux réside dans la possibilité pour les contractants de les « délocaliser » juridiquement. Les parties à un tel contrat peuvent en effet décider de soumettre leur contrat à la loi de l'Etat de leur choix. Elles peuvent également prévoir, sous des conditions plus restrictives, quelles seront les juridictions (ou instances arbitrales) compétentes en cas de litige. Dans ce contexte, l'application des textes adoptés au niveau communautaire apparaît plus délicate. En cas de litige, c'est la loi du contrat qui déterminera si le changement de monnaie est de nature à entraîner la renégociation du contrat.

En l'absence de clauses prévoyant expressément une renégociation du contrat lors du passage à l'Euro, le passage à l'Euro ne paraît pas susceptible de provoquer une perturbation fondamentale des facteurs économiques de nature à justifier l'application des doctrines étrangères d'imprévision.

Du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001

A compter du 1er janvier 1999 s'ouvre une période transitoire de trois ans. Pendant cette période, les unités monétaires nationales des Etats membres participants continueront à subsister mais elles ne sont plus que des subdivisions non décimales de l'Euro. Elles deviennent des expressions temporaires, nationales de l'Euro.
Le projet de règlement communautaire sur l'introduction de l'Euro prévoit un certain nombre de règles destinées à s'appliquer spécifiquement pendant cette période :
﷓ Les nouveaux actes juridiques auront une validité identique qu'ils soient en Euro ou en Franc. Ainsi, il sera toujours possible de conclure des contrats (ou d'adopter des textes) en Franc pendant cette période (art. 6).
﷓ Pour les actes juridiques existants le 1 r janvier 1999 : c'est le statu quo. Une créance de 100 F sera considérée le 1er janvier 1999, comme une créance en Euro - en application de l'article 3 précité - mais toujours sous la dénomination de 100 F Pour autant, cette situation n'est pas figée. Il sera toujours possible soit au législateur, soit aux parties à un contrat, de remplacer l'unité monétaire nationale par l'unité Euro selon les procédures de modifications habituelles.
- En dépit du fait que le Franc et l'Euro sont des expressions différentes d'une même monnaie, le projet de règlement communautaire sur l'introduction de l'Euro prévoit des règles précises d'utilisation de ces différentes unités monétaires qui permettront aux opérateurs de basculer « en douceur » vers l'Euro. Ce principe trouve son expression juridique dans l'article 8 du projet de règlement sur l'introduction de l'Euro : (principe du ni﷓ni).

• l'unité monétaire dans laquelle est libellé un instrument juridique (unité Euro ou unité Franc) doit être respectée dans « tous les actes à exécuter en application de ce même instrument juridique ». Cet article garantit donc aux opérateurs l'utilisation de l'unité monétaire qu'ils avaient initialement choisie.

• Le principe de la liberté contractuelle est également respecté, le paragraphe 2 de cet article permettant l'accord contraire des parties. De fait, le principe du « ni﷓ni » ne s'appliquera pas en matière législative et réglementaire, le choix de l'unité monétaire revenant alors à la seule autorité normative.
e



Cliquez pour agrandir
Figure n°2 :


Le paragraphe 3 constitue une exception importante au principe du « ni﷓ni » en donnant la faculté au débiteur, lorsqu'il paye par voie scripturale, d'utiliser l'Euro ou le Franc, les banques assurant la conversion entre l'unité de tenue de compte du débiteur et du créancier. Par cette disposition, le projet de règlement établit une fongibilité totale des unités monétaires pour les règlements scripturaux et permet aux opérateurs économiques d'effectuer des opérations en Euro et en Franc à partir d'un même compte bancaire.
﷓ Le paragraphe 4 de cet article constitue une seconde exception au principe en permettant aux Etats membres participants de prendre les mesures nécessaires pour permettre l'utilisation de l'Euro, même si ces mesures entraÎnent l'obligation d'utiliser l'Euro, dans deux domaines particuliers﷓ celui de l'encours de la dette et celui des marchés organisés.
e Enfin, le paragraphe 6 confirme la fongibilité des deux unités monétaires pour l'application de la réglementation sur le netting ou la compensation.

Du 1er janvier 2002 au 30 juin 2002 au plus tard

Durant cette période, les pièces et les billets en Euro sont introduits dans les Etats membres participants et les pièces et billets en unités monétaires nationales sont peu à peu retirés. L'article 15.1 du projet de règlement sur l'introduction de l'Euro permet aux Etats membres participants de raccourcir cette période en supprimant le cours légal des pièces et des billets en unité monétaire nationale par une loi. A défaut, le cours légal des unités monétaires nationales disparaÎt automatiquement le 30 juin 2002

AU 1er janvier 2002 s'effectue un « big﷓bang » des instruments juridiques existants. L'article 14 stipule que « les références aux unités monétaires nationales qui figurent dans des instruments juridiques existants à la fin de la période transitoire sont considérées comme des références à l'unité Euro selon les taux de conversion respectifs. Les règles pour arrondir les montants arrêtés par le règlement (CE) n°[..] s'appliquent ».
L'article 1 4 constitue une disposition « balai » permettant la conversion automatique de l'ensemble des actes juridiques existants soumis au règlement communautaire. D'un point de vue strictement juridique, il ne sera pas nécessaire de relibeller matériellement les instruments juridiques existants. Une réécriture des textes sera certainement nécessaire pour des besoins de lisibilité. En tout état de cause, cette situation ne pourra pas être prétexte à une renégociation du contrat en application de l'article 3 précité du projet de règlement fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'Euro.
A compter du 1er janvier 2002, l'ensemble des dispositions spécifiques à la période transitoire ne s'appliquent plus. Dès lors, les unités monétaires nationales des Etats membres participants, ne sont plus considérées comme des subdivisions de l'Euro. Par ailleurs, les règles régissant l'adoption ainsi que l'exécution des instruments juridiques dans l'une ou l'autre des unités monétaires - Franc ou Euro - ne s'appliquent plus. La validité de nouveaux instruments juridiques qui seraient libellés en Franc ou prévoiraient l'utilisation du Franc parait donc incertaine.
Comment cette situation peut﷓elle se concilier avec le maintien du cours légal des pièces et des billets en Francs pendant une période de six mois? En réalité, il semble que le maintien de ce cours légal ne subsiste que pour des raisons pratiques : il s'agit de procéder peu à peu à l'échange de ces monnaies contre de l'Euro. Une situation identique se retrouve d'ailleurs lors des opérations de démonétisation passées. Pour autant une telle situation peut difficilement être assimilée à une conservation du Franc.
Le 30 juin 2002 au plus tard, le scénario de basculement à la monnaie unique est donc achevé dans les Etats membres participants.

Autrice

Marianne Lévy-Rosenwald

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.