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28 septembre 2003

L 'EURO: Pourquoi, comment?

Publié par Jacques Lesourne | N° 12 - L'Euro : Un défi pour la France

par Jacques Lesourne, Professeur au CNAM


Je crois que vous allez regarder ce problème majeur sous quatre angles successifs :
1. Conséquences sur la politique économique d’ensemble,
2. Enjeux pour les entreprises,
3. Enjeux sur les marchés des capitaux,
4. Enjeux sur les services financiers.
Je voudrais plutôt dire un mot sur les problèmes qui existent en amont et en aval de ces angles de vue. En amont d'abord, car l'introduction de la monnaie unique n'est qu'une des trois grandes préoccupations, les autres étant l'élargissement de la communauté et son approfondissement -en clair : sa réforme institutionnelle.
On peut imaginer un scénario d'échec dans ces trois domaines, par exemple à cause des conflits engendrés par les règles de prise de décision et les différences de poids entre partenaires. On verrait alors un marché unique fortement réglementé, avec certains membres comme la France et l'Allemagne allant de l'avant en dépit du veto de la Grande-Bretagne.
Un deuxième scénario serait un élargissement avec monnaie unique, mais pas d'approfondissement. Cela reviendrait à une zone de libre-échange, assez inefficace en dehors des relations commerciales.
Enfin, il y a le scénario du succès dans les trois domaines : monnaie, élargissement et approfondissement. J'entrevois trois accidents possibles. Le premier serait le décès subit d'un politicien de premier plan, le chancelier Kohl pour ne pas le nommer. Le second accident serait une crise sociale dans un pays avant le remplacement des billets de banque nationaux par ceux en Euro, crise ne pouvant être résolue que par une manipulation de la monnaie. Le troisième accident serait la même crise, après le remplacement des billets mais avant que les citoyens n'aient entièrement oublié le temps de la monnaie nationale. Comparé à ces accidents majeurs, un scénario de retard d'un an ou deux dans la mise en place de l'Euro me semble mineur.
En aval, maintenant, c'est à dire du point de vue du citoyen ordinaire. Je crois qu'on a sous-estimé le bouleversement qui va se produire dans sa vie quotidienne. Le Brésil a vécu une telle transformation; le double étiquetage a duré six mois, pendant lesquels il fallait changer les doubles étiquettes tous les jours car l'inflation en Real Ancien était de l'ordre de 30% par mois. Le professeur Lamfalussy dit que lorsqu'il fait des conférences en Allemagne sur l'Euro, on lui demande régulièrement : « combien vais-je perdre dans la conversion? » C'est que les Allemands ont déjà vécu de telles opérations, et elles étaient toujours douloureuses.

il y aura aussi des arrondis, forcément, et personne ne voudra que cela soit fait à son détriment. Il y aura les marchands de chaussures, qui fixent leur prix à 699 F plutôt qu'à 700 F pour une raison psychologique, et qui ne pourront pas se satisfaire de la simple conversion arithmétique. Quand un consommateur est touriste à l'étranger, il effectue bien une conversion de l'unité de compte, mais il n'est guère regardant; il le sera infiniment plus chez lui, dans ses achats quotidiens. il y a encore des Français, et pas seulement des vieillards, qui reviennent aux « anciens Francs » pour les grosses sommes.
Il ne faut pas non plus se priver du plaisir d'anticiper sur le « spectacle de cirque » que sera la période de conversion. Comme vous le voyez, j'ai évité les aspects techniques sérieux, mais il me paraissait utile de replacer l'affaire dans son contexte général. Je ne crois pas qu'il faille faire un rapprochement avec l'échec de la Communauté Européenne de Défense, mais tout de même, il faudrait se concentrer plus sur l'aspect psychologique des choses.

Autrice

Jacques Lesourne

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