L’EURO: Monnaie forte ou monnaie faible?
par Patrick ARTUS (75)Directeur des études économiques à la Caisse des Dépôts et Consignations
De la réponse à cette question dépend largement la santé des économies européennes dans les prochaines années. L’espoir plus ou moins avoué des gouvernants de certains pays européens d'aboutir, à la suite de l'unification monétaire, à un réajustement de la parité avec le Dollar, à la baisse, de manière à avoir un avantage commercial, dépend de plusieurs facteurs analysés ci-dessous.
L’EURO ET L'ENVIRONNEMENT EXTÉRIEUR
Or s'il est possible de Se référer à des évolutions récentes pour imaginer ce que sera demain sur ce point, des traits spécifiques, qui tiennent à la dimension même des économies en jeu, obligent le futurologue à faire oeuvre d'imagination.
La Banque centrale européenne ressemblera à bien des égards à la Bundesbank. L'indépendance de cette dernière constitue une sorte de modèle. Malgré une composition très différente de son conseil, il est très probable qu'elle sera plus soucieuse d'orthodoxie monétaire que de considérations d'ordre social,
Il convient de distinguer entre les évolutions à court terme et la situation stabilisée. Présenter à ce propos l'Euro comme un challenger du Dollar ne correspond pas à la réalité. Tout d'abord parce qu'en vue d'éviter des déséquilibres structurels, il y a fort à parier que les dirigeants de la banque centrale européenne vont laisser une inflation faible mais non nulle perdurer, mais aussi parce que le poids des investisseurs institutionnels et leur implication internationale sont plus faibles que ceux des Etats-Unis, du Japon et de la Grande-Bretagne. Dans les pays de l'Euro, les actifs de ces investisseurs représentent entre le tiers et les trois-quarts du PIB, 20% ou moins en Allemagne et en France. Quant au taux de diversification internationale des fonds de pension, il avoisine 1 % en Allemagne alors qu'il est de 17% en Grande-Bretagne. L'écart est plus net encore pour les fonds d'assurance-vie.
La comparaison n'est plus possible si l'on considère les actions menées par la Bundesbank en réaction contre les faiblesses qu'ont connues, à tour de rôle, des monnaies comme le Franc français ou la Lire italienne, qui auront disparu. Il n'y aura plus dès lors de périodes de tensions sur ces monnaies cycliquement faibles. Les assouplissements induits sur la politique des taux allemands n'auront de ce fait plus de raison d'être et on peut s'attendre à une rigueur plus constante, donc à un Euro fort. En un mot, la moindre dépendance des économies extérieures amènera une plus grande autonomie dans la gestion de la banque centrale.
L’EURO ET LES POLITIQUES NATIONALES
Pour ce qui est des influences internes, un effet de dilution est à attendre. Le modèle allemand loue sur ce plan aussi un rôle déterminant : « Si l'Europe en moyenne subit des chocs de prix plus importants que l'Allemagne, on peut craindre, si la BCE a le seul objectif de stabiliser l'inflation, une politique monétaire fluctuante et souvent restrictive après l'unification.»
L'union monétaire débouchera sur une situation paradoxale : les pays membres passeront d'une économie
Après cette étape, les politiques budgétaires, en particulier leurs dimensions fiscales, loueront un rôle différent. L'histoire récente montre que les décisions budgétaires ont été utilisées de manière différente en Allemagne et en France, où, comme en Italie, elles ont souvent été un élément de lutte contre les phénomènes cycliques. Le pacte de stabilité, un des piliers de l'unification monétaire, va empêcher les variations fortes de politiques budgétaires contra-cycliques.
Les Etats, comme aujourd'hui, seront partagés entre la volonté affichée et exprimée dans le pacte de stabilité, de réduire l'endettement public et le souci de maintenir le niveau d'activité et de l'emploi. La banque centrale européenne se gardera bien d'intervenir dans ces choix. L'équilibre sera d'autant plus délicat et incertain que le poids du budget fédéral est faible au regard du PIB de l'ensemble des pays membres, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, par exemple. Il y a fort à parier pourtant que les marges budgétaires de chaque Etat soient réduites et qu'on parvienne, comme le laissent penser les engagements pris à un rapprochement des politiques fiscales.
Cette analyse est basée sur la comparaison Mark-Euro. La disparition des incertitudes sur la réalité et certaines modalités de fonctionnement de l'Euro, mais aussi des réactions plus ou moins raisonnées à cette unification ainsi que le maintien à un niveau bas de l'inflation (peut-être plus bas que le niveau moyen observé actuellement) sont de nature à peser sur les taux d'intérêt à long terme. Une baisse de ceux-ci par rapport aux taux allemands d'aujourd'hui est de nature à rendre la monnaie européenne plus faible.
C'est ainsi que les facteurs qui incitent à penser que l'Euro sera une monnaie faible tiennent à la diversité internationale des portefeuilles (investisseurs institutionnels surtout) et à la relative indépendance de la politique monétaire européenne des politiques budgétaires des Etats membres. A l'inverse, la disparition des tensions sur les monnaies les plus faibles de l'Europe et la moindre dépendance extérieure du nouvel ensemble font pencher la balance en faveur d'un Euro fort.
Les facteurs structurels objectifs de détermination de la politique monétaire en Europe ne vont donc pas évoluer tous dans le même sens et il est difficile de savoir quel facteur va l'emporter. Il semble que l'environnement (international, de politique budgétaire) aille dans le sens favorable à un Euro faible; tandis que les déterminants propres des banques pousseront vers un Euro fort.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.