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13 février 2004

Le rôle des privatisations

Tout d'abord je voudrais faire observer que le processus des privatisations n'est pas propre à la France mais existe dans l'ensemble des pays; c'est là le résultat non seulement du souhait de retrait de l'État, mais aussi de la conjonction des intérêts de l'État, du souhait des groupes industriels, bancaires ou d'assurance concernés, de l'appétit des investisseurs pour prendre des positions dans ce secteur, et enfin, mais peut-être à un degré moindre d'une certaine volonté des salariés de ces entreprises d'en devenir actionnaires à l'occasion de ces privatisations.

Je voudrais regrouper mes commentaires en quelques têtes de chapitres. D'une part, je souhaiterais montrer qu'à l'intérieur du jeu de ces acteurs l'État garde un rôle déterminant dans le processus de privatisation. Je voudrais également rappeler que, au﷓delà de ce qui se passe en France, il s'agit d'un phénomène universel et maintenant relativement massif. Le troisième type d'observation que je ferai sera pour insister sur le fait que la privatisation intervient parce qu'elle est indispensable à l'internationalisation des groupes industriels, bancaires ou d'assurance ﷓internationalisation ou européanisation dans le cas des groupes français. Je reviendrai ensuite sur la demande des investisseurs, et enfin je voudrais faire quelques observations sur les mécanismes de privatisation tels qu'ils s'appliquent en ce moment.

Tout d'abord je voudrais souligner le fait que l'État joue un rôle tout à fait déterminant dans la nécessité de privatiser. G. Pfauwadel a rappelé que ['État avait été l'un des acteurs conduisant à la modernisation du système financier, pour ses propres besoins. Il est certain que l'impasse sur le plan de l'endettement et du budget dans laquelle se trouvent la plupart des États ﷓ et la France n'est pas le pire ﷓ est une des raisons pour lesquelles l'État procède aux privatisations. Il faut y ajouter des aspects plus fondamentaux, notamment le fait que la notion d'État﷓ Providence semble de moins en moins évidente à l'ensemble des acteurs.

Le niveau de la dette publique, le poids du service de la dette publique parmi les dépenses, le niveau de déficit de l'ensemble des acteurs ﷓ quand il s'établit à 350 milliards environ, on ne peut pas négliger totalement le poids des recettes que peuvent procurer les privatisations – la difficulté aussi pour les entreprises publiques d'aller concurrencer dans les dotations d'autres besoins budgétaires de l'État au lieu d'aller sur les marchés financiers: voilà autant d'incitations fortes à privatiser.
Il existe une deuxième raison pour l'État de pousser à ce phénomène de privatisation. L'État, comme il a été rappelé, a souhaité depuis des années animer la place financière et boursière; le fait que la place financière et boursière parisienne soit maintenant beaucoup plus alerte qu'elle n'a été, à la fois provient des privatisations et permet les privatisations. Pour alimenter ce relatif dynamisme, il faut que le marché soit plus large et qu'un plus grand nombre de titres ou une fraction plus importante des titres soient côtés à Paris pour en faire une vraie place internationale.

Il faut se souvenir également que la France a finalement des ratios de capitalisation boursière par rapport au Produit Intérieur Brut qui restent faibles par rapport à un certain nombre de pays voisins, que ce soit la Grande﷓Bretagne, les Pays﷓Bas, la Belgique ou la Suède, même s'ils sont plus élevés qu'en Allemagne... On peut imaginer qu'à l'issue de ce processus de privatisation on aura une ampleur de marché par rapport à l'économie française du même ordre de grandeur que la plupart des grands pays développés, avec peut﷓être une exception pour l'Allemagne.

La deuxième observation que je souhaite faire est qu'il s'agit d'un phénomène massif et mondial.

Il suffit de citer quelques chiffres: en Europe, l'ensemble des privatisations prévues devrait représenter environ 2,5% du Produit Intérieur Brut; ce seront ainsi à peu près 150 milliards de dollars qui devraient être privatisés dans les prochaines années, avec des programmes particulièrement importants en France, en Italie et en Espagne. Les privatisations seront moins importantes en Grande﷓Bretagne et en RFA. En RFA, le seul gros programme prévu, est la privatisation des télécommunications allemandes. Au Royaume﷓Uni, beaucoup a déjà été fait, et les secteurs qui restent à privatiser sont parmi les plus difficiles sur le pion économique, sachant que la Grande﷓Bretagne a déjà pris une longueur d'avance sur l'ensemble des autres pays.

Si l'on regarde au﷓delà de l'Europe occidentale, le phénomène existe aussi. D'une part on peut l'observer dans les pays de l'Est, avec d'ailleurs un certain nombre de difficultés et de reflux: ainsi, l'un des pays qui a été en pointe sur ce processus, la Tchécoslovaquie, commence à connaître quelques difficultés à cause d'une espèce de tassement, le programme ayant été mené trop vite. Il y a également de grands problèmes de privatisation dans un certain nombre de pays d'Asie, et en Amérique du Sud.

J'ajoute que ces programmes de privatisation à l'étranger donnent aux banques européennes, qui ont beaucoup innové dans les techniques et dans les processus mis en oeuvre lors des privatisations en Grande﷓Bretagne et en France, l'occasion d'exporter un savoir﷓faire; aussi trouve﷓t﷓on beaucoup de grande banques anglo﷓saxonnes, voire françaises, dans ces processus de privatisation à l'étranger, et notamment dans un certain nombre de pays du Tiers﷓Monde.

Je voudrais rappeler un dernier chiffre; ces dernières années on peut considérer au niveau mondial que ce sont près de 50 milliards de dollars par an qui font maintenant l'objet de privatisations. Il s'agit là d'ordres de grandeur tout à fait considérables.

Le troisième type d'observation est lié au fait que l'État n'est pas le seul acteur à pousser à la privatisation; les entreprises elles-mêmes sont très demandeuses.

Les entreprises sont très demandeuses, parce qu'il s'agit d'entreprises industrielles, de banques ou d'assurances qui interviennent dans un monde de plus en plus ouvert où elles ont besoin d'internationalisation dans leurs capitaux, dans la connaissance des marchés, dans leur actionnariat et dans leur partenariat. On pourra tout à l'heure peut-être en redévelopper un certain nombre d'exemples autour de la BNP, autour de Renault, autour d'autres acteurs français, pour montrer que cette internationalisation nécessaire s'accommode très mal d'un statut d'entreprise nationalisée. Il y a donc là une très forte incitation, si l'on veut réussir l'internationalisation de ces sociétés, à aller d'un bon pas vers leur privatisation.

Pour privatiser, il faut des investisseurs. Est﷓ce que la demande existe ? Est-ce qu'elle est suffisante ? Est-ce-qu'on peut avoir des risques de saturation ? Et tout d'abord, qui achète ?

Fondamentalement, deux catégories d'agents sont intéressées, d'une part des institutionnels, d'autre part des particuliers.

Au niveau des institutionnels, la demande existe chez les institutionnels européens; en outre, il y a, de la part des fonds de pension américains, japonais, anglais ou hollandais, une demande tout à fait considérable, avec un appétit particulier pour les privatisations qui peuvent avoir lieu dans les pays européens, notamment pour certains secteurs.

La demande des particuliers existe aussi et elle peut être entretenue. On a rappelé le formidable stock qui reste encore investi dans des outils monétaires de court terme. Il y a eu un certain nombre d'incitations données pour réduire ce stock, notamment à travers l'emprunt Balladur. Il est certain que cela a permis de dégonfler très partiellement le stock, mais il subsiste une demande importante des particuliers. Pour peu que, d'une part, les prix soient relativement attractifs notamment au début du processus de privatisation et que, d'autre part, un certain nombre d'incitations soient données, il n'est pas douteux qu'il y aura une demande importante pour la plupart des sociétés privatisables.

On pourra revenir tout à l'heure sur le calendrier et sur le choix des privatisables, car il n'est pas tout à fait neutre d'avoir opté pour le calendrier tel qu'il est organisé; quand on en viendra en France à un certain nombre d'autres sociétés, du style Aérospatiale, Air France et autres, évidemment on aura de tout autres problèmes à régler, sachant qu'un certain nombre de secteurs ne sont pas encore prévus dans le programme de privatisation.

La contrepartie de cette demande de grands opérateurs internationaux est évidemment le fait qu'il faudra aller vers une transparence encore accrue des comptes des entreprises, vers une cotation sur des places de plus en plus nombreuses, vers des clauses de protection des minoritaires auxquelles la France n'est pas toujours complètement habituée, et auxquelles les partenaires anglo﷓saxons prêtent une attention croissante, vers une politique de dividendes qui soit durable et importante. Ce sont les conditions pour que ce processus ne soit pas un feu de paille mais puisse se poursuivre.

Pour ces grands investisseurs, où acheter ?

Il est certain que l'Europe et notamment la France présente des caractéristiques de sécurité, à la fois dans le processus de privatisaton et dans l'organisation des marchés boursiers, qui sont attractives par rapport à d'autres zones mondiales dont j'ai pu parler tout à l'heure.

Enfin, quand on regarde les secteurs demandés, il est certain que tout le secteur des banques, de l'assurance fera l'objet d'une demande forte. Un certain nombre de grandes sociétés industrielles peuvent l'être aussi, mais il y en a un certain nombre qui présentent des espoirs de résultats plus aléatoires. Il y a enfin tout un secteur sur lequel il existe une demande considérable, même si pour l'instant il n'est pas en l'état privatisable en France ; c'est tout le secteur des télécommunications et de certains services publics, qui peuvent apparaître au regard d'investisseurs internationaux comme des secteurs attractifs, à la fois parce que ce sont des secteurs en expansion rapide qui font l'objet d'un soubassement technologique relativement avancé, et parce qu'ils sont encore protégés ou partiellement protégés. Donc il peut y avoir une forte attraction sur ces types de secteurs.

Mes dernières remarques porteront sur le processus actuellement en cours, dans le cadre de la loi de 1993.

Il y a d'abord un certain nombre de modifications par rapport à ce qui s'est passé en 1986, dans le cadre de la loi. Il y a d'autre part surtout une modification des acteurs. Il est certain que, aujourd'hui, on retrouve un contexte où les banques françaises et les acteurs économiques français sont beaucoup plus aguerris qu'ils ne l'étaient lors du processus de 1986-1988 ; en outre, la notion de construction de groupes d'actionnaires stables et notamment de la partie industrielle de ces groupes d'actionnaires stables est une chose compliquée qui sans doute nécessitera, au-delà même des opérations de privatisation, des réflexions ultérieures. On le voit avec le groupe Elf. On le verra sans doute avec Renault suite à l'échec des accords avec Volvo. Je crois qu'il y a là tout un pan de réflexion à mener.

L’actionnariat salarié est une possibilité offerte par la loi, qu'il est parfois difficile d'utiliser en totalité. On voit ainsi apparaître lors de la privatisation de Rhône-Poulenc, ou d'autres privatisations en cours, un certain nombre de procédés permettant de démultiplier cet actionnariat salarié.

En dernier lieu, on pourra observer que les techniques mêmes par lesquelles se fait la privatisation, l'offre publique de vente ou la recherche des institutionnels sont assez différentes de ce qu'elles ont été, et qu'il y a eu une certaine créativité à l'occasion des privatisations de 1993; une partie est héritée de ce que l'on voit à l'étranger, mais avec des adaptations assez spécifiques à la France.

Michel Jacob
Directeur Général de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild

Autrice

Michel Jacob

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