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14 février 2004

Commentaires et questions

J. Plassard : Je voudrais commenter les propos de M. Bruno Durieux, en défendant un peu les aspects de protectionnisme. L'agriculture française perd depuis maintenant vingt ans 3 % de ses effectifs par an. L'ensemble des activités «textile-habillement» perd 4% de ses effectifs par an, soit une baisse des effectifs d'un quart tous les sept ans. Humainement, il s'agit là d'une transformation très rapide, très douloureuse. Accélérer le mouvement est quand même difficile. Nous ne sommes pas protectionnistes, mais il faut essayer de freiner un peu ce processus.

L'acte de vente- l'exportation - et l'acte d'achat -l'importation- ne sont pas identiques. Vendre c'est quand même remporter une victoire, faire quelque chose de positif. Consommer est nécessaire, je suis moi-même un consommateur évidemment, mais ce n'est pas exactement la même chose. Il y a dans le mercantilisme un aspect psychologique légitime qu'il faut comprendre pour en limiter les expressions.

B. Durieux : La remarque que vient de faire Jacques Plassard montre qu'il y a encore, en effet, quelques évolutions à accomplir dans les secteurs du textile et de l'habillement. Je les connais bien, et je suis frappé du fait que les trois principaux compétiteurs internationaux du textile français sont les textiles beige, allemand et italien. Dans la région de Roubaix-Tourcoing, où l'on supprime des centaines d'emplois chaque année dans ce secteur qui est dans une situation particulièrement éprouvante, il y a un groupe belge qui vient de créer deux cents emplois pour fabriquer des tapis de laine à Commines, en France. Il ne peut plus les fabriquer à Courtrai, la région d'origine de ce groupe industriel, car il se heurte à des pénuries de main-d’œuvre. On fait porter parfois à la concurrence internationale asiatique, marocaine, ou mauricienne, des responsabilités qu'elle n'a pas toujours.

Question : Monsieur Plassard a opposé les problèmes de compétitivité du secteur privé face au secteur public dans les secteurs en croissance. Où fait-il passer la frontière entre le secteur privé et le secteur public, dans la mesure où l'on peut avoir diverses acceptions des cieux termes ?

J. Plassard : Je constate que le système français a fait un effort d'amélioration de gestion pour les secteurs de la sidérurgie, du charbonnage et, dans une certaine mesure, à la SNCF - c'est-à-dire dans les grands monopoles publics. Je constate que les entreprises privées du secteur concurrentiel, notamment dans l'automobile, ont été suivies par l'automobile publique; mais nous avons encore d'énormes possibilités qui n'ont pas encore été explorées dans le secteur public concurrentiel à croissance. Je pense à Air France ou au désastre de Bull qui représentent les inconvénients d'une privatisation retardée et qui affaiblissent le système français dans des proportions gigantesques. L'ensemble est dans la bonne direction : je suis impressionné par les succès qui ont été remportés par les charbonnages français par rapport au charbonnages allemands, la sidérurgie française par rapport à la sidérurgie allemande, mais nous avons quelques poches qui n'ont pas été résorbées.

Question : On a rappelé ce matin que l'élasticité des importations à la croissance était supérieure à 1, c'est﷓à﷓dire que le taux de croissance des importations dépassait celui de l'économie française; en outre, Monsieur Durieux nous a donné les atouts à l'exportation de la France aujourd’hui. Alors, clans une perspective de reprise de croissance de l'économie française, y a-t-il encore une contrainte du commerce extérieur ?

J. Plussard: L'élasticité des importations au produit national est égale à 1. Le pourcentage des importations dans le produit national est stabilisé, depuis près de quinze ans, Lorsque l'on propose une hypothèse différente, on commet généralement l'erreur de regarder les volumes et pas les valeurs. Les importations augmentent plus que le produit national en volume, parce que le prix relatif des produits importés~ augmente moins que le prix global du PIB. Mais le ratio importation/PIB qui a monté dans des proportions extraordinairement importantes dans les années 1965-1975 est maintenant plafonné. Autrement dit, en termes économiques, c'est-à-dire en valeur et non pas en volume, l'élasticité est de 1.

Question: Dans le phénomène d'internationalisation décrit par les trois intervenants, quel est l'intérêt net pour la communauté nationale ? Il y a des intérêts en terme de résultat des sociétés, ils ont été décrits par M. Gérondeau. En allant vers une logique qui est celle de marchés toujours plus concurrentiels, donc vers une logique de réduction des coûts et d'adaptation, le phénomène le plus apparent est le transfert de l'emploi des pays dits industrialisés vers les pays à main-d’œuvre bon marché. Quel en est le coût pour la communauté nationale puisque, dans l'endettement de l'État français et dans le solde budgétaire, les deux postes importants sont la lutte pour l'emploi d'une part, et le coût de la dette, d'autre part? L'endettement de l'État est directement lié à un déficit budgétaire qui lui-même est dû à l'emploi. On retrouve donc l'emploi également dans le coût de la dette. Il faut tenir compte de ces coûts pour la communauté nationale.

B. Durieux : Je suis en total désaccord avec cette idée, et je vais vous raconter très brièvement l'apologue que présente Benjamin Constant dans ces pages merveilleuses où il imagine une adresse des producteurs de chandelles à l'Assemblée Nationale. L'adresse est, en substance, la suivante: nous sommes victimes d'un concurrent intolérable, apatride, mondial et déloyal. Ce concurrent c'est le soleil. Nous demandons donc que les députés veuillent bien adopter une loi faisant obligation à tous les citoyens de fermer leurs volets à 7 heures du soir et à veiller que la lumière ne puisse pénétrer par aucun interstice. De cette manière, nous pourrons continuer à maintenir une activité créatrice d'emploi. Nous, fabricants de chandelles, employons non seulement ceux qui fabriquent nos chandelles, mais faisons également travailler l'agriculture: nous avons besoin de suif, de graisse animale. Donc l'agriculture et toute la France vivent de notre activité. L'idée selon laquelle l'acceptation de la concurrence internationale, et l'engagement d'une économie sur les marchés internationaux aboutissent à détruire des emplois est une idée grossièrement fausse. Et pour mieux le comprendre, je ne vais pas seulement vous rappeler qu'il doit y avoir à peu près 4 millions d'emplois dépendant directement d'exportations françaises; je vous demande également d'imaginer dans quelle situation nous serions si nos exportations stagnaient? Regardez la croissance des 3, 4, ou des 5 dernières années et imaginez ce que serait la croissance sans la contribution des exportations au PIB. En 1992, par exemple, l'évolution du PIB n'a été positive que par la contribution des exportations. Par conséquent, c'est commettre une grave erreur que de dire que l'on crée du chômage parce qu'on accepte l'internationalisation de l'économie.

J. Plassard : La question posée aborde un problème fondamental, qui consiste à savoir si l'on accepte le progrès qui implique du changement, ou si l'on préfère qu'il n'y ait pas de progrès, pour rester comme avant. Il y a des sociétés qui sont organisées contre le progrès, c'est-à-dire contre le changement. C'est une attitude philosophique essentielle que nous trouvons aux Indes, dans certains pays musulmans, mais c'est une attitude qui n'est pas celle de nos sociétés.

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