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13 février 2004

La modernisation du système financier

Je dois vous dire quelques mots d'introduction sur l'extraordinaire mutation du paysage financier français depuis le milieu des années 1980, puis introduire le débat sur la nécessité ou l'utilité de ces réformes et sur leurs conséquences.

Ce qui a marqué le début du changement du paysage, c'est la loi bancaire de 1984. C'est la première pierre de touche, étant entendu que, s'agissant plus strictement du marché financier, l'année clé est l'année 1985 qui a vu, en même temps, trois réformes majeures qui ont fondamentalement changé le paysage.

La première est la réforme du marché monétaire, avec son ouverture, cet espèce de continuum qui a rendu théoriquement possible, pour toute catégorie d'émetteurs et toute catégorie d'emprunteurs, d'émettre pratiquement du jour le jour au 30 ans. L'ambition de cette réforme était de faire exploser les cloisons des différentes catégories du marché de l'argent pour permettre à chacun soit d'émettre, soit d'investir sur l'ensemble des créneaux du marché de l'argent, du plus court au plus long. Cela est évidemment raffiné à l'extrême en ce qui concerne la technique d'émission du Trésor. Et il est clair que c'est dans le domaine du financement du Trésor que les réformes, le décloisonnement, la modernisation sont allés le plus loin, avec toutes les catégories de nouveaux titres, les OAT, les BTAN, l'ensemble des titres de créance négociables du Trésor.

La deuxième réforme importante est la modernisation forte de la politique d'émission du Trésor, à la fois par les techniques d'adjudications régulières, et par la création des SVT, les Spécialistes en Valeurs du Trésor.

Le troisième point, la création du Matif, a été le moyen de moderniser la gestion de la dette publique du Trésor, puisque initialement les premiers instruments qui ont été traités sur le Matif, étaient des instruments d'émission de la dette publique, notamment les OAT à dix ans.

1985 est donc l'année clé, suivie dès 1986 par la loi boursière. Tout cela avait été initié par M. Bérégovoy,

Ministre des Finances, et l'équipe Naouri, Rubinowicz et son Cabinet; la balle a été reprise, presque sans discontinuité, par M. Balladur, Ministre des Finances, en 1986. Il a enclenché la première grande loi boursière depuis 1885, un siècle et un an plus tard, loi qui a ouvert le métier d'agent de change pour le transformer en société de bourse et qui a donc permis, aux banques et aux nonrésidents de prendre des participations significatives chez les sociétés de bourse.

Cette loi boursière, d'ailleurs, a été suivie dès la fin de 1987 par une loi réformant les marchés à terme, qui fusionnait la bourse de commerce avec les marchés à terme d'instruments financiers. Et c'est comme ça que subtilement, le Matif qui s'appelait Marché à Terme d'Instruments Financiers, est devenu Marché à Terme International de France, parce qu'on n'y traitait plus seulement des instruments financiers mais aussi des «commodities», des marchandises.

C'est donc sur cette période très courte, de 1985 à 1988, que le paysage a fondamentalement bougé. Et les mots clés de cette réforme étaient tous des mots qui commencent par «dé»: décloisonnement, désintermédiation, déréglementation, tout cela pour passer d'un système financier très spécialisé, très intermédié, relativement réglementé à un système assez banalisé, pas complètement déréglementé, un peu plus désintermédié et relativement décloisonné... Donc voilà les mots qui caractérisent ce changement extraordinaire du paysage.

La clé de voûte de tout cela, c'est l'ouverture européenne. L'ensemble de ce mouvement de déréglementation a été ratifié par deux directives. En effet, en dehors de la construction de l'Union Monétaire, il y a de manière beaucoup plus instrumentale deux directives qui s'imposent au monde financier.
C'est tout d'abord la directive dite « bancaire », qui est en vigueur depuis le premier janvier 1993, c'est﷓à﷓dire il y a un peu plus d'un an, et qu'on a l'habitude d'appeler LPS (Liberté de Prestation de Service dans le secteur bancaire). La seconde directive, elle, est plus spécifiquement tournée vers les marchés financiers et s'appelle la Directive Services en Investissement (la DSI). Elle, a été complètement adoptée et devrait entrer en vigueur le premier janvier 1996, avec mise à jour de nos textes internes en 1995, c'est﷓à﷓dire demain; c'est cette directive «investissement» qui sera la clé de voûte du phénomène de modernisation qui a fondamentalement changé nos structures financières.

Je terminerai mon exposé en posant quelques questions, notamment à mes «co﷓panelistes». D'abord, est﷓ce que tout cela était nécessaire? Et est﷓ce que c'était utile? Puisque le thème de cette matinée est « la finance au service de l'économie », la connexion entre la sphère financière et la sphère réelle, ce sont des questions éminentes qu'il nous faut nous poser.

À l'évidence, la réponse que j'apporterai est: évidemment oui!

Tout d'abord, je pense que ces réformes étaient indispensables et que leur timing a été extrêmement approprié. C'était indispensable, parce que, sauf à refermer notre pays, deux phénomènes d'ouverture internationale rendaient ces réformes inéluctables.

Le premier est un phénomène monétaire et économique incontournable que l'on appelle la globalisation des marchés de l'argent. L'argent est devenu global : avec la suppression du contrôle des changes, il fallait insérer notre marché financier dans la globalisation des marchés de capitaux. Le deuxième phénomène est l'ouverture européenne; les directives que j'ai mentionnées rendaient nécessaires cette déréglementation et ces décloisonnements, ouvrant donc l'accès à nos marchés et à nos produits à différents acteurs et pas seulement à nos acteurs domestiques, selon l'ancienne réglementation. D'où, en tout état de cause, une contrainte externe qui rendait indispensables ces réformes.

Ensuite, ces réformes ont eu une utilité réelle dans deux domaines qui ont marqué le paysage financier depuis une dizaine d'années. C'est premièrement l'explosion des besoins de financement du Trésor Public, qui date du début des années 1982-1983, où il y a eu un réel besoin de financement à long, moyen et court terme, du Trésor Public. Les programmes . d'émission de dette publique, notamment de dette à long terme, ont été multipliés par dix ou par vingt: il fallait, pour trouver cet argent, moderniser les marchés, et il était clair qu'on ne financerait pas selon les anciennes techniques de prise ferme, les 200 ou 150 milliards d'OAT dont le Trésor Public a besoin chaque année. Pour de tels volumes, il faut disposer d'un marché moderne, ouvert, et de techniques efficaces d'adjudication... Et puis, il y a eu le programme de privatisations, amorcé en 1986, interrompu, puis repris récemment. Il est clair que, de la même façon, si vous voulez faire un programme de privatisations massif, il faut vous doter d'un marché financier qui puisse suivre. Il est clair que la modernisation de la Bourse contribue à faciliter le programme de privatisation entrepris par le gouvernement.

Il y avait donc là deux raisons objectives pour entreprendre cette modernisation.

Et puis la troisième raison, qui à l'évidence rendait nécessaire ces réformes, est la très grande coïncidence entre, d'une part, cette modernisation et la création de nouveaux instruments financiers et, d'autre part, un accroissement fantastique des incertitudes et des volatilités sur les marchés financiers.

Ces incertitudes sont apparues au début des années 1970, lorsque le dollar a quitté sa parité avec l’or, puis elles se sont aggravées, et il est vrai que depuis 10﷓12 ans, on n'a jamais vu autant de volatilité sur le marché des changes, sur le marché des taux, sur le marché des matières premières, sur les indices boursiers. C'est une période où un certain nombre de phénomènes politiques et économiques comme la désagrégation du système monétaire international, ont contribué à un accroissement massif des volatilités et des incertitudes. Et c'est typiquement le genre de situation où il faut avoir des instruments pour se protéger. Cela concerne la quasi totalité des acteurs économiques, qu'ils soient investisseurs, entreprises... il est important pour eux de trouver des moyens qui leur permettent de pallier aux incertitudes qui font désormais partie de leur environnement quotidien. Et c'est donc ce qui explique l'explosion des nouveaux instruments financiers, l'explosion des marchés à terme, des marchés d'options, qui à l'évidence sont une réponse apportée par les marchés financiers eux-mêmes à ce développement des incertitudes.

Je vais interrompre là mon exposé étant entendu que j'aimerais qu'on puisse débattre ensuite des conséquences sur les risques, notamment les risques systémiques que peuvent enclencher ces réformes des marchés financiers.

Gérard Pfauwadel
Président de Matif S.A.

Autrice

Gérard Pfauwadel

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