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14 février 2004

Les atouts des entreprises françaises

Avant de donner quelques témoignages sur la manière dont le développement international est conçu chez Zodiac, je dirai que je partage pleinement l'analyse de Monsieur le Ministre Bruno Durieux sur la compétitivité de la France, qui a en effet énormément progressé dans les quinze dernières années. Je me demande si l'excédent du commerce extérieur n'est pas un indicateur illusoire, en ce sens que la récession a certainement largement contribué à la baisse des importations. En outre, il y a un effet d'hystérésis important dans l'évolution de la compétitivité. Dans le cas des entreprises, on ne redresse pas une entreprise en six mois ou en trois ans ; de même, si la France est compétitive aujourd'hui, elle le doit aux efforts entrepris pendant un certain nombre d'années, et non pas seulement aux deux ou trois dernières années.

Pour faire la liaison avec la reprise, je ne pense pas que la crise que nous traversons jouera un très grand rôle dans l'amélioration de notre compétitivité. Certes, il y aura un effet à court terme: les réductions de frais généraux, imposés par les efforts de gestion nécessaires, entraîneront des résultats meilleurs; mais lorsque nous avons des usines qui chôment, on ne peut pas dire que ce soit in fine très bon pour la productivité, tout du moins celle à long terme. Donc, je ne ferai pas de corrélation entre ce qui peut arriver lors de la reprise de l'économie française et la compétitivité plus fondamentale qui, elle, traverse les aléas de la conjoncture.

Par son histoire, Zodiac est effectivement très impliqué dans un phénomène inévitable, la mondialisation des marchés. Le bateau pneumatique est un produit qui a été créé par notre société et qui, de ce fait, a connu assez rapidement une mondialisation, dans la mesure où il n'y avait pas d'équivalent à cette époque-là. La société était donc très internationale, par son histoire. Ensuite, quand on a essayé de développer ce groupe, on a toujours poursuivi la recherche de créneaux qui étaient mondiaux, par définition ou plutôt par stratégie. Et aujourd'hui, nous gérons 6it ou neuf créneaux sur lesquels nous occupons généralement des positions de numéro 1 mondial; aussi travaillons-nous dans tous les pays du monde. Ces créneaux se situent notamment dans l'aéronautique. Nous fabriquons des sièges d'avion, des toboggans, des dégivreurs, des réservoirs. Dans la partie marine-loisirs, nous fabriquons des bateaux, des produits gonflables, etc. Nous avons donc une certaine expérience de l'international et, effectivement, nous n'utilisons pas le mot « exportation » chez nous. Le mot n'a pas de sens. Autrement dit, notre démarche est guidée par les questions suivantes: Quel est le marché? Quelle est notre part de marché? Comment est-ce que l'on peut l'augmenter? Où sont les clients? Quel type de produit faut-il leur donner? À quel prix? Il s'agit là d'une démarche industrielle absolument classique. Et c'est celle-là qui détermine totalement notre comportement. In fine, il faut que nous prenions les décisions économiques les plus intelligentes pour les business que nous gérons - je dis souvent que nous sommes jugés par nos actionnaires, par la Bourse, et que nous ne sommes pas jugés par le Ministre du Commerce Extérieur, même si on espère contribuer au commerce extérieur en tant qu'entrepreneurs.

Par ailleurs, l'acheteur final est de plus en plus insensible à l'origine des produits qu'il achète. Le consommateur n'a pas une grande sensibilité à l'origine des produits - on pourra toujours dire que le consommateur japonais fait attention, certes, mais le consommateur américain ne fait absolument pas attention, le consommateur français non plus. L'acheteur final regarde en fait ce qu'il pense être son intérêt. Traduisant d'ailleurs ce comportement, je citerai seulement l'exemple des loisirs gonflables où la France a perdu pratiquement la totalité de ses parts de marché parce que les acheteurs des grandes surfaces françaises sont tous partis se fournir en Chine et à Taïwan. Derrière ces paroles, je ne veux pas les blâmer: ils ont leurs clients, et la compétition entre eux est vive; je comprends très bien ce comportement. Ils ne peuvent pas privilégier ﷓parce que ce n'est pas la règle du jeu ﷓ une source française simplement parce qu'elle est française.

Je voudrais également citer un exemple qui m'a toujours surpris, à l'occasion d'une compétition contre un concurrent américain. Nous étions deux à avoir fait des offres sur trois programmes aéronautiques dont un seul programme européen - il y avait l'Airbus 330-340, le MD 11 et le Boeing 777. J'avais fait une usine en France, et j'avais donc prévu en toute logique que nous aurions l'Airbus 330﷓340, que notre concurrent aurait le MD 11, et que nous avions une forte probabilité de perdre le 777. En fin de compte, on a perdu l'Airbus 330-340, on a gagné le MD 11 et le 777. Ce qui veut dire que j'avais fait fausse route, et que l'origine du produit n'avait strictement aucune importance pour les gens qui ont pris la décision. On pourrait ainsi multiplier les exemples.
Notre philosophie est simplement la suivante: l'acheteur final est relativement insensible à l'origine des produits, sauf dans quelques cas particuliers. Nous avons une activité militaire aux Etats-unis et, dans ce domaine, il est clair que tout doit être fabriqué aux Etats-unis. Cependant, il y a de moins en moins de protections et le domaine militaire, en France, est lui-même en train de basculer. On peut même parler de protections contraires: pour des raisons politiques, il faut que les Anglais vendent en France. Alors, de temps en temps, on achète en Angleterre, parce qu'il faut respecter les quotas et les accords internationaux. Sur ce plan militaire, l'Europe va donc peut-être devenir ouverte, mais cela mettra un certain temps.
Je dirai ensuite que la compétitivité de notre entreprise n'est pas forcément toujours synonyme de compétitivité française, tout au moins à court terme. Si nous faisons nos choix en tant qu'entreprise en fonction des seuls impératifs économiques, le fait que nous sommes une société française, cotée à Paris, dirigée essentiellement par des Français, contribue fortement à l'économie française, à long terme. Et ceci reste vrai même si on doit parfois prendre des décisions telles que la fermeture d'une usine en France pour la transférer dans un autre pays - je ferai une parenthèse en soulignant que l'on ne délocalise pas nécessairement vers des pays à bas salaires; parfois, on peut délocaliser simplement vers les Etats-unis qui ont des taux horaires et une législation du travail nettement plus favorables qu'en France. Il est donc clair qu'on est parfois amené à prendre des décisions qui peuvent donner à penser que notre compétitivité à nous n'est pas synonyme de compétitivité française.

En fin de compte, quelle est notre stratégie? Pour chacun de nos créneaux, on réfléchit à l'endroit où il faut concevoir le produit, où il faut le fabriquer, où il faut le vendre.

On essaie toujours de «sourcer» les compétences là où elles sont les moins chères; c'est notre rôle en tant qu'agent économique. À la limite, si la Recherche et Développement peut être faite en Inde à un prix du tiers de celle que vous allez payer aux Etats-unis ou en France, la logique économique veut que vous alliez faire la R&D là-bas. Si, lorsque vous cherchez des commerciaux, vous trouvez des Anglais que vous pouvez transférer en Allemagne et qui acceptent de travailler pour moitié prix par rapport à un Allemand, il faut le faire. Cet exemple relève davantage de la théorie parce qu'en pratique les commerciaux dans un pays sont généralement des nationaux. Il est rare de trouver des commerciaux allemands en France, mais on commence tout de même à trouver des Hollandais. Certaines fonctions de l'entreprise sont donc relativement mieux protégées. Là où le choix de l'internationalisation est le plus difficile, c'est pour la fabrication. D'abord, il s'agit d'une décision importante : on ne change pas de lieu de fabrication tous les huit jours. Ensuite, une fois qu'on a pris la décision, une erreur de choix peut vous coûter votre place sur le marché.

En tant qu'industriel, il n'existe pas de règle générale et il faut regarder au cas par cas. Dans notre entreprise, nous avons tiré la leçon de l'expérience lorsque nous avons perdu des parts de marché significatives dans les loisirs gonflables, pour ne pas avoir voulu transférer la fabrication. Par contre, les Etats-unis, qui avaient la même activité et qui, eux, se sont transférés beaucoup plus rapidement à Taiwan et en Chine, ont réussi à conserver leurs parts de marché. Aussi, pour une autre de nos activités qui demeure marginale dans le groupe, la conception et la commercialisation sont faites aux Etats-unis, et la fabrication est faite en Chine. On peut se demander: «Qu'est-ce que la France vient faire là﷓dedans? ». Il se trouve que cette activité fait partie du groupe, qu'elle marche bien, et que la France a tout à y gagner même si, à court terme, on peut y voir des désavantages.

Comme je le disais, nous ne l'avons pas fait, en revanche, pour les bateaux pneumatiques qui sont toujours fabriqués en France. Je sais qu'il y a un certain surcoût lié à cette fabrication française, et je sais qu'on pourrait fabriquer ces bateaux avec une réduction de coût de 15 à 20%. Mais, il y a un certain nombre d'autres considérations à prendre en compte telles que la confidentialité des technologies qui sont les nôtres : on n'a pas tellement envie d'aller apprendre aux Chinois ou aux Taiwanais à le faire, parce qu'ensuite ils vont diffuser cette technologie et on verra apparaître de nouveaux concurrents. C'est typiquement une des considérations qu'il faut prendre en compte.

En outre, l'acte de délocaliser coûte extrêmement cher. Pour l'instant, là où l'on a réussi à conserver nos parts de marché, on se satisfait de l'équilibre actuel, tout en déplorant que, si la main-d’œuvre qualifiée que nous employons est compétitive sur le marché, la main-d’œuvre peu qualifiée est, elle, hors marché aujourd'hui, comme chacun sait. La main-d’œuvre française non qualifiée est deux ou trois fois plus chère que celle que vous pouvez trouver ailleurs. Je citerai un autre exemple, celui des air-bags. La question s'est posée de savoir si nous devions délocaliser la fabrication des sacs. La réponse tient en peu de mots: si on peut automatiser suffisamment la fabrication, on espère ne pas la délocaliser. Mais, si le dessin technologique ne permet pas d'aller vers une automatisation suffisante, les contraintes de l'automobile, qui sont extrêmement fortes en matière de prix de revient nous obligeront à délocaliser. Le coût de la délocalisation inclut aussi le coût de l'encadrement nécessaire. Nous avons une petite usine à l'île Maurice, pour une activité de fabrication de parachutes. Sur les quarante employés, il y a un Français, et trente-neuf personnes locales. Le Français nous coûte plus cher que les trente-neuf autres personnes qui travaillent là-bas. La délocalisation se heurte souvent au problème de ces Français qui sont parfois extraordinairement exigeants, et pas très souples. Il faut dire que, jusqu'à il y a sept ou huit ans, les banques assuraient des conditions excessives aux expatriés, sous forme de primes, de voitures de fonction, de frais d'éducation des enfants... La situation évolue progressivement: aujourd'hui, on trouve des Français ou des Anglais qui acceptent très bien de travailler à l'étranger sans demander tous ces surcoûts exorbitants qui, en fin de compte, rendaient l'expatriation quasiment impossible. Le coût de la délocalisation varie évidemment en fonction de l'activité: dans celle où le besoin en encadrement est important, la délocalisation n'est pas rentable même si l'on fait des économies sur la main-d’œuvre.

Pour finir sur la compétitivité française, ma principale inquiétude réside dans la rigidité à laquelle se heurte une politique de gestion souple des effectifs. En France, il est certain que l'opinion publique mais aussi les chefs d'entreprise ont été traumatisés par les opérations de réductions d'effectifs qui se sont succédé ces douze ou dix﷓huit derniers mois. Beaucoup de décideurs qui n'en avaient pas l'habitude ont fait pour la première fois ce genre d'opérations, et ont découvert le coût et les difficultés morales et techniques que cela représentait. Chez Zodiac, nous avons été confrontés aux mêmes problèmes en France et aux Etats-unis : aux Etats-unis, quand vous faites un comité sur la division du système d'évacuation, qui a réduit ses effectifs de 50% en deux ans, à cause de la baisse des cadences d'avions, ce n'est même pas inscrit à l'ordre du
jour. Quand vous arrivez en France, pour la même division, la réduction d'effectifs est le seul sujet à l'ordre du jour. Il est clair qu'il y a un frein énorme à la mobilité de l'emploi en France, qu'un certain nombre de chefs d'entreprises viennent de le découvrir et je crains que cela constitue un frein à la re-création d'emploi. On savait que la main-d’œuvre non qualifiée était trop chère, qu'elle était hors marché, et qu'il y a beaucoup de prélèvements sociaux dessus: tout ceci a été dit et on le constate en tant que chef d'entreprise. Mais on n'avait pas forcément réalisé à quel point c'était une consommation de ressources tant financières que managériales, que d'adapter les effectifs en France, lorsque l'on n'a pas d'autre choix.
Cette rigidité constitue indubitablement un frein à l'implantation des entreprises internationales. Récemment, une
entreprise qui fabrique du textile, de la lingerie féminine, devait délocaliser; elle s'est vue refuser son autorisation,
simplement parce qu'elle gagnait de l'argent. Ce genre de comportement très défensif n'est pas très bon sur le long
terme et n'encouragera certainement pas les entreprises internationales, qui sont de plus en plus nombreuses, à
venir en France.

Jean-Louis Gérondeau
Président du Directoire du Groupe Zodiac

Autrice

Jean-Louis Gérondeau

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