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14 février 2004

La France peut-elle profiter des pôles de croissance mondiaux ?

Nous avons eu, encore hier, des résultats extrêmement brillants de nos échanges extérieurs pour novembre 1993: quasi-équilibre en novembre avec les Etats-unis, ce qui est important; excédent de près de 4 milliards de Francs sur l'Union Européenne. La partie la plus dynamique des exportations semble être, encore en novembre, les investissements, les biens d'équipement. Par conséquent, on a là des résultats qui, se répétant depuis maintenant bientôt 18 mois, donnent le sentiment que la France a pris, dans le domaine du commerce extérieur, des positions solides qu'on n'aurait jamais imaginées il y a 10 ou 15 ans de cela. Je me rappelle à la fin de l'année dernière, comme Ministre en charge du Commerce Extérieur, m'être senti très audacieux à l'idée de prévoir un excédent de 30 milliards de Francs. Il est probable que nous terminerons l'année avec un excédent de 80 milliards de Francs.

Le plus intéressant, cependant, ce sont les conditions dans lesquelles ces résultats sont obtenus. Nous gagnons des parts de marché: la France est aujourd'hui à des niveaux historiquement élevés de parts de marché dans le monde. De Plus, la France enregistre ces excédents d'une part avec une monnaie stable, et d'autre part en ne cessant de s'ouvrir davantage à la concurrence internationale. Quelqu'un qui se serait assoupi au milieu des années 1970 ou au début des années 1980, et qui se réveillerait aujourd'hui serait stupéfait. Car, à cette époque-là, on considérait d'une part que le déficit du commerce extérieur français était une espèce de mal congénital, et que deuxièmement, pour vivre avec ce mal, il y avait deux moyens: la dévaluation et la protection. Je me rappelle, comme jeune économiste, que mes premiers travaux portaient sur la courbe en J ; on passait un temps très important, d'ailleurs extrêmement stimulant intellectuellement, pour bien comprendre comment fonctionnaient les dévaluations, en quoi elles étaient utiles pour le commerce extérieur et comment l'effet initialement négatif était compensé par la suite. Aujourd'hui, j'insiste sur ce point, on se trouve dans une situation d'excédent du commerce extérieur, avec une monnaie stable et des frontières de plus en plus ouvertes. Il est d'ailleurs remarquable de constater que, simultanément, jamais la hausse des prix n'a été aussi faible alors que nous sommes dans un système de liberté totale des prix, système qui a été long à mettre en oeuvre, comme vous le savez. Voilà donc des résultats économiques qui montrent que, dans les années passées, nous vivions moins sur des certitudes que sur des croyances.

Considérant la position extérieure de la France - solde des échanges de biens et services comme balance des paiements - il y a à mon avis, deux questions à se poser. Est-ce que les progrès enregistrés sont circonstanciels et conjoncturels, ou sont-ils plus structurels et durables ? Et, deuxième question, quelles sont les causes profondes de ces performances ? Je vais essayer de répondre rapidement à ces deux questions,

L'analyse attentive des échanges commerciaux de la France montre que l'amélioration de la balance commerciale s'est accompagnée de modifications profondes dans la structure de nos échanges commerciaux. D'abord par secteurs. Il y a une quinzaine ou une vingtaine d'années, nous avions dans nos exportations, une part élevée pour les produits de base et les demi-produits, Aujourd'hui, la part des produits élaborés, à haute valeur ajoutée ou à fort contenu technologique, ne cesse de s'accroître. Quand je dis d'ailleurs à haute technologie, il y a lieu de préciser: un canot pneumatique, pour moi, peut être un produit de haute technologie; la haute technologie, ce n'est pas seulement une fusée ou un train que l'on fait rouler à 300 km à l'heure. Ce peut être aussi des processus de fabrication, des systèmes de gestion sophistiqués, qui s'appliquent à des produits traditionnels. Le premier exportateur mondial de brouettes est en France. Je suppose que cet exportateur est certainement un entrepreneur qui maîtrise la haute technologie. Les produits par secteurs se sont ainsi orientés vers une production avec un contenu en emplois qualifiés qui va croissant. La répartition géographique s'est elle-même considérablement modifiée, puisque les exportateurs français sont désormais majoritairement engagés sur les marchés des pays industrialisés, les plus concurrentiels, c'est-à-dire ceux où la compétition est la plus dure. Il y a quinze ou vingt ans, nous étions encore fortement présents dans les zones qui correspondaient à nos anciennes colonies, ou dans les pays en développement. Aujourd'hui, nous marquons des points dans les pays où la concurrence est la plus dure. En 10 ans, la part des exportations françaises sur la zone de l'OCDE est passée de 70 à 80%. Quand on connaît la forte inertie de ces données structurelles; gagner 10% dans ce domaine en une décennie est un progrès remarquable.

Un autre changement à observer dans le commerce extérieur français est le comportement des entreprises. Je me rappelle, il y a quinze ans, m'être déjà occupé des questions du commerce extérieur, et on se lamentait de voir les entreprises françaises considérer l'exportation soit comme un complément d'activité, soit comme l'occasion de faire un ou deux bons coups à l'exportation; aujourd'hui, il est clair que l'exportation est un élément stratégique de l'entreprise et, en disant exportation, je ferais mieux de dire internationalisation; c'est-à-dire qu'il est maintenant classique d'observer que les chefs d'entreprises françaises considèrent que l'avenir de leur entreprise passe évidemment par la prise en compte explicite et même souvent primordiale de l'international et de l'exportation.

Il y a un quatrième changement que je voudrais évoquer, parce que l'on ne le fait pas très souvent, alors qu'il a beaucoup contribué aux évolutions que je viens de décrire: c'est le comportement de l'administration française. La DREE, administration assez décriée il y a quinze vingt ans, et que j'ai trouvée considérablement changée en bien, quand je l'ai retrouvée il y a quelques mois, n'hésite plus à soutenir ardemment les exportateurs français. Elle est passée d'une attitude de contrôle à une attitude d'appui aux entreprises.

Les causes de ces changements structurels dans nos échanges commerciaux me laissent augurer que nous avons, en effet, changé de nature vis-à-vis du problème de l'économie internationale et de notre insertion dans l'économie internationale. Je mentionnerai en premier lieu les facteurs macroéconomiques qui me paraissent les plus importants. J'attribuerai comme facteur numéro un de notre changement d'attitude et des succès que l'on remporte à l'exportation, la politique macroéconomique qui a été mise en place avec une certaine continuité depuis une dizaine d'années maintenant, notamment la maîtrise des coûts de production et la stabilité du taux de change. Je pense que cette politique macroéconomique menée avec constance depuis 10 ans, a eu un effet déterminant sur les succès que l'on a enregistrés à l'exportation et à l'international. Je pense également que la politique structurelle qui a elle aussi été engagée il y a une dizaine d'années, avec une certaine continuité, a joué un rôle important - je cite ce facteur en seconde position, bien qu'il soit aussi important que le premier - : il recouvre la suppression de toutes les réglementations inhibitrices des échanges commerciaux, qu'il s'agisse du contrôle des prix, du contrôle des changes ou des contrôles des mouvements de capitaux, et corollaire de ces suppressions, l'encouragement systématique qui a été mis en ceuvre en France par tous les gouvernements, visant à promouvoir l'internationalisation de l'activité économique et en particulier des entreprises. En 1990, la France a été, me semble-t-il, le premier exportateur mondial de capitaux. Internationalisation, globalisation et ouverture des marchés: toutes les politiques mises en oeuvre il y a 10 ou 15 ans, ont tendu à ouvrir de plus en plus les marchés. En ce sens, le marché unique a été un stimulant majeur. Enfin, j'y reviens, les administrations ont modifié leurs attitudes, leurs politiques; elles sont passées d'une attitude de contrôle - contrôle des subventions dont bénéficient les exportateurs - à une attitude d'accompagnement. Les Postes d'Expansion Économique à l'étranger ont totalement changé leur mentalité; ils sont conscients du fait qu'il faut soutenir les entreprises françaises, et non plus seulement se contenter de vérifier que l'argent public est bien employé.

Naturellement, il reste encore des obstacles à l'intégration de notre économie dans le commerce international. Je voudrais tout d'abord mentionner la persistance en France de solides bastions mercantilistes et protectionnistes. Fort heureusement, les milieux les plus influents - tant dans le domaine politique que dans le monde des affaires - restent attachés à l'idée d'ouverture et d'internationalisation de l'économie française, et sont prêts à la défendre. Il faut cependant rester vigilant. La situation de l'emploi est telle que les argumentations mettant en cause la concurrence des pays du Sud-Est asiatique ou les délocalisations portent dans l'opinion publique. À cet égard, j'ai été très frappé par l'impact qu'a eu le rapport d'un sénateur sur les délocalisations, aussi bien au sein des milieux politiques que dans l'opinion publique. D'ailleurs, dans la mentalité française, j'acte d'exporter reste sans doute un acte à contenu plus « moral » que l'acte d'importer; de même, il me semble que l'acte de faire venir des implantations étrangères sur le territoire national reste aussi, dans notre inconscient collectif, plus «moral» que celui qui consiste à implanter à l'étranger une unité de production, ou à « délocaliser » comme on dit. À mes yeux, nous ne sommes pas définitivement ancrés dans cet état d'esprit selon lequel c'est par l'international que la France pourra assurer la poursuite de son développement.

Deux autres obstacles subsistent. Le premier a été évoqué par Jacques Plassard : nous manquons encore d'entreprises à l'exportation. De mémoire, 80% ou 90% des exportations sont le fait de 5% de nos entreprises. L'exportation est trop concentrée. Il est vrai qu'il faut nuancer cette remarque par le fait que beaucoup d'entreprises, petites et moyennes, travaillent pour des entreprises qui, elles-mêmes, sont de grandes exportatrices; autrement dit, elles contribuent indirectement aux échanges internationaux du pays. Mais, si l'on compare la France et l'Allemagne, il est clair qu'on manque d'entreprises et que les entreprises exportatrices allemandes de taille moyenne n'ont pas d'équivalents chez nous. Il faut porter nos efforts dans cette direction. Quelques exceptions notables comme celle de Zodiac nous montrent que c'est possible.

Un autre obstacle tient à notre faible présence en Asie.

Nous ne sommes pas absents de ces marchés, naturellement; mais nous sommes derrière les Italiens, nous sommes souvent derrière les Néerlandais, et sur l'ensemble de l'Asie du Sud-Est, nous avons une position médiocre qui doit être autour du 7e ou du 8e rang, alors que nous sommes 3e ou -4e exportateur mondial selon la parité du change. Or, c'est du côté de l'Asie du Sud-Est que se situent les plus grands potentiels de développement et de croissance, donc les meilleures opportunités de progression de nos exportations.

Je conclurai en répétant ma proposition initiale: nous sommes bien placés pour la reprise économique, dans la mesure où la compétitivité que la France a acquise n'est pas accidentelle ou conjoncturelle; elle correspond bien à une situation fondamentale, résultant elle-même d'une politique menée depuis une bonne décennie. Nous sommes bien placés, et nous serons d'autant mieux placés, en particulier sur l'Asie, que nous nous montrerons toujours plus volontaristes et désireux de développer nos implantations.

Bruno Durieux
Ancien Ministre délégué au Commerce Extérieur

Autrice

Bruno Durieux

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