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13 février 2004

La politique économique face aux contraintes financières

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de participer à ce colloque organisé par l'Association des Anciens Élèves de l'Ensae et La Tribune Desfossés.

Mon intervention portera sur un thème en parfaite continuité avec les débats qui ont animé cette matinée: quels sont les liens existant entre la politique économique et les contraintes financières ?

En d'autres termes, nous nous demandons quelles sont précisément les contraintes financières qui s'imposent à l'action du Gouvernement. Quelles ont été les initiatives des pouvoirs publics pour réduire ces contraintes ? Que peuvent faire les agents financiers pour favoriser la reprise ?

Nous avons ici deux grands axes de réflexion que je me propose d'approfondir avec vous. Le premier est davantage du domaine des structures, des mouvements longs qui modifient en profondeur l'environnement de la politique économique. Le second est plus proche de nous et de la conjoncture que nous connaissons aujourd'hui. L'un et l'autre sont sources de contraintes nouvelles, de même qu'ils mettent peut-être au second plan des contraintes plus anciennes, créant ainsi de nouveaux défis pour la politique économique.

Deux traits majeurs caractérisent les mutations de notre environnement financier qui sont intervenues au cours des dix dernières années. D'une part l'internationalisation s'est accélérée du fait de la poursuite de l'ouverture des économies et d'une suppression complète des dernières limitations aux mouvements de capitaux. D'autre part, le cadre national lui-même s'est transformé puisque la place des marchés dans le financement de l'économie s'est notablement développée depuis le milieu de la décennie 1980. Si je rappelle ces éléments désormais bien connus, c'est non seulement pour en prendre la mesure avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, mais surtout pour tenter d'en tirer les enseignements qui en découlent en matière de politique économique.

Il apparaît assez clairement, me semble-t-il, que la mondialisation des marchés de capitaux et l'interpénétration des économies ne desserrent qu'en apparence les contraintes financières qui pèsent sur la politique économique.

Le mouvement d'interpénétration, perceptible pour la plupart des agents, tend à diversifier les sources de financement comme les opportunités de placement. Dans le cas de l'économie nationale, comme l'ont montré les travaux de Feldstein et Bachetta, l'élasticité du taux d'investissement national à l'épargne nationale s'est affaiblie progressivement avec le développement des flux internationaux de capitaux au cours des trois dernières décennies. L’allocation de l'épargne peut désormais être effectuée au niveau mondial, les arbitrages et l'évaluation du rapport risque-rendement négligeant les frontières. Cette évolution est le gage d'une atténuation des contraintes financières pesant sur les économies nationales et d'un accroissement de l'efficacité des marchés financiers.

D'un côté, elle permet à l'économie nationale, dont les besoins d'investissements sont supérieurs aux flux d'épargne de disposer plus aisément de ressources d'origine externe. La grande mobilité internationale des capitaux et leur forte sensibilité à de faibles variations de taux d'intérêt permet en effet de financer un déficit de la balance courante sans limiter trop brutalement les projets d'investissement par une hausse importante des taux d'intérêt. De ce point de vue, la politique budgétaire est plus souple puisque l'effet d'éviction traditionnel s'atténue, desserrant ainsi les contraintes de financement.

De l'autre côté, les placements effectués par les agents créditeurs sont moins bornés au cadre national. La diversification des portefeuilles leur permet tout à la fois de réduire les risques et d'obtenir un rendement optimal.

Mais ce mouvement n'est bien entendu pas sans contreparties. Dans bien des cas, les contraintes financières résultant de cette internationalisation sont plus grandes.

La première conséquence tient à l'interdépendance accrue des économies occidentales et particulièrement européennes. La liberté des mouvements de capitaux entraîne nécessairement des répercussions à l'échelle internationale des variations de taux d'intérêt décidées dans une des économies dominantes comme l'illustre notamment la diffusion mondiale du choc de taux d'intérêt pratiqué par les autorités monétaires américaines au début des années 1980.

Plus généralement l'ouverture des économies généralise les cycles qui peuvent affecter les économies dominantes et, dans une certaine mesure, est susceptible d'accroître leur amplitude. Les flux commerciaux ont connu un tel développement que, comme la France en a fait la cruelle expérience il y a plus de 10 ans, toute tentative de relance budgétaire isolée se solde par un échec cuisant. Une élasticité à court terme des importations à la demande supérieure à 1 et un niveau élevé du taux de pénétration suffisent à réduire singulièrement la valeur du multiplicateur de dépenses publiques.

Ainsi je ne vous surprendrai sans doute pas beaucoup en vous disant que l'interdépendance et la mondialisation affaiblissent la puissance des instruments traditionnels de la politique macroéconomique et renforcent les contraintes à prendre en considération au niveau national. Je ne reviendrai pas en détail sur cet aspect bien connu. Je souligne cependant que c'est la volonté de retrouver une plus grande maîtrise de notre destin en matière économique qui, vous le savez bien, rend chaque jour plus indispensable l'approfondissement de la construction européenne. C'est cette dynamique qui, seule, permettra de redonner ensemble à ces instruments une plus grande efficacité au niveau du continent.

J'en viens aux profondes mutations qui ont affecté le système financier français depuis bientôt dix ans. Elles ont des implications non négligeables sur les contraintes financières qui peuvent affecter les ménages, les entreprises, les intermédiaires financiers et l'ensemble de l'économie. Les conséquences de la montée en puissance d'une économie de marchés financiers sur la politique économique sont nombreuses et assez complexes: tantôt elles allègent, tantôt elles alourdissent le poids des contraintes financières.

L’un des objectifs de la déréglementation est d'accroître l'efficacité de la politique monétaire dans la lutte contre l’inflation, de faciliter le financement des agents non-financiers et d'introduire une plus grande concurrence au sein du système financier. Il faut tout de même aujourd'hui rappeler brièvement ces éléments pour souligner que l'allégement des contraintes financières anciennes, qui constituaient l'objectif de ces réformes, a été, dans une large mesure, obtenu.

Par la suppression de l'encadrement du crédit, l'ouverture du marché monétaire aux agents non-financiers avec la création des titres de créances négociables et la fin des distorsions de concurrence liées aux bonifications de prêts, les taux d'intérêt sont devenus depuis lors l'instrument privilégié de régulation monétaire. Les variations de toux courts sont en mesure de se diffuser désormais à l'ensemble des agents; la modernisation du financement de l'État dans un contexte de développement de la dette publique a pu fournir le moyen de développer l'offre de titres sur le marché monétaire. L'essor des OPCVM a drainé des liquidités et a permis d'éviter le refinancement quasi-automatique des banques auprès de la Banque Centrale qui l'obligeait auparavant à encadrer le crédit de façon réglementaire. Par ces modifications, la diffusion des décisions de la Banque Centrale à l'ensemble des agents a renforcé la capacité d'influence sur les anticipations et la crédibilité d'une politique monétaire anti﷓inflationniste.

Au premier rang des agents bénéficiaires de ces réformes, on a souvent souligné que se trouvait l'État. En effet, Ici capacité d'émettre plus simplement des titres de toutes échéances aurait permis à l'État de soutenir un accroissement de la dette publique sans augmenter le risque inflationniste. Le recours aux facilités du financement monétaire des déficits budgétaires est en effet d'autant moins probable que, grâce à ces réformes, les agents non-financiers peuvent souscrire en masse des titres de la dette publique. En outre, le coût du service de la dette est optimisé selon l'évolution des taux courts et des taux longs et les souscriptions par les non-résidents élargissent les sources de financement.

La privatisation est un autre volet de la déréglementation financière. Elle ne peut d'ailleurs s'effectuer sur un vaste

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Elle représente désormais environ 45% du PIB. Si l'on poursuivait ce mouvement, la progression des charges d'intérêt deviendrait insupportable. Le mouvement de détente des taux d'intérêt pourrait s'en trouver remis en cause. Il importe donc de maintenir les objectifs actuels de modération des dépenses publiques, notamment des dépenses sociales. À moyen terme, les marges de manœuvre pour une relance budgétaire sont donc plus qu'étroites.

Cette contrainte peut cependant être regardée de façon plus positive. Le Gouvernement a en effet déjà pris toute une série de mesures favorables à la relance de l'économie. Vous en connaissez le détail, dans une situation particulièrement difficile, le Gouvernement a su faire preuve d'imagination pour mobiliser toutes les ressources disponibles afin d'assurer le soutien de la conjoncture par le redéploiement des dépenses et grâce aux privatisations et au Grand Emprunt d'État.

Pour aborder la situation financière des entreprises, il importe de revenir un peu en arrière. Dans les années quatre-vingt, les entreprises françaises ont dû faire face à un choc sans précédent. Je pense au choc résultant du niveau des taux d'intérêt réels qui sont durablement demeurés élevés. Il s'agit là, si l'on se rappelle des décennies précédentes, d'une situation totalement nouvelle à laquelle il a fallu s'adapter. Les entreprises se sont donc efforcées au-delà des aléas conjoncturels d'échapper au piège de l'endettement et à la spirale des charges financières. Elles ont accru le recours aux fonds propres par rapport à l'endettement. Elles ont également privilégié la restauration de leurs marges et dégagent aujourd'hui une capacité d'autofinancement sans précédent.

Nous sommes sans doute parvenus au terme de cette évolution. Le mouvement de baisse des taux d'intérêt n'est certes pas encore achevé mais il a été sérieusement amorcé. Il devrait réduire l'ampleur des problèmes de trésorerie dont souffrent de nombreuses entreprises tout en levant en partie leur contrainte d'endettement et en facilitant le financement de leurs projets d'investissement. La reprise de la croissance devrait également rendre moins présente cette contrainte d'endettement.

Pour conclure sur les entreprises, je dirais donc que leurs contraintes financières se desserrent, à la fois du fait des ajustements qu'elles se sont elles-mêmes imposées, de la baisse des taux d'intérêt et de la politique économique suivie par le Gouvernement.

Après les entreprises et leurs comportements d'investissement, je parlerai des ménages et de leurs comportements d'épargne. On sait que suivant la théorie du revenu permanent de Milton Friedman, qui est grosso modo conforme à ce que l'on observait dans un passé encore proche les ménages agissent sur leur épargne comme sur un tampon: ils la compriment en période de récession et la gonflent en période de croissance. En agissant ainsi, les ménages lissent leur consommation et la préservent des variations temporaires de leurs revenus courants. Voilà pour la théorie. Que disent les faits? Depuis 1990, ce mécanisme n'a pas joué. Les ménages ont, au contraire, maintenu leur taux d'épargne et comprimé leur consommation suite au ralentissement de leur revenu. En 1993, leur taux d'épargne a même connu, contre toute attente, une très légère progression. Tout s'est donc passé comme si les ménages anticipaient le ralentissement de leur revenu comme durable.

Pour expliquer ce comportement inhabituel, les hypothèses ne manquent pas. On pense tout d'abord à l'accroissement du chômage et surtout à sa diffusion à des catégories jusque là relativement abritées du risque de perdre son emploi, en particulier les cadres. Ce phénomène justifierait la constitution d'une épargne de précaution. Il en va de même de l'inquiétude sur le financement des retraites, alimentée par le débat public sur l'évolution des régimes. On pense également à la persistance des taux d'intérêt à des niveaux élevés, qui suivant une logique classique rendrait l'épargne plus attractive. On pense enfin à l'endettement croissant des ménages qui aurait imposé, à l'image de ce qui s'est passé pour les entreprises, un ajustement important des bilans au profit de l'autofinancement, c'est-à-dire, pour les ménages, de l'épargne.

Si l'on prend toutes ces hypothèses une à une, force est de constater que les motifs qui ont justifié le gonflement de l'épargne ces dernières années, joueront moins dans l'avenir.

Je le répète, le mouvement de réduction des taux d'intérêt réels est en cours et les ménages ont commencé à en sentir les effets sur leurs conditions de crédit ou de rémunération de leur épargne, ce qui devrait favoriser leur consommation, notamment de biens durables.

Par ailleurs, les ménages sont moins inquiets sur le financement de leur retraite; le lien entre les prestations dues et les cotisations versées a été renforcé dans le sens d'une plus grande pérennité du système: l'allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, prise en considération des 25 meilleures années pour mieux tenir compte de l'effort redistributif des assurés. La réflexion que le Premier Ministre m'a chargée de conduire sur les fonds de pension devrait également permettre d'aller dans le même sens.

L’incertitude sur l'avenir, dans bien des domaines, se dissipe et la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement dans un cadre quinquennal n'y est pas étrangère. En particulier, la loi quinquennale sur l'emploi a, je le crois, apporté certaines solutions qui permettront, à terme, d'inverser la progression du chômage. Je citerais pour mémoire la mise en place du Contrat d'Insertion Professionnelle, les exonérations de charges au voisinage du Smic, l'annualisation du temps de travail, ou encore sa réduction à titre expérimental.

J’ajouterai à ce panorama l'unification du taux de prélèvement libératoire sur l'ensemble des produits d'épargne de taux. Cette réforme assure, par l'unité d'assiette entre revenus distribués et capitalisés, la neutralité de la fiscalité de l'épargne. Elle apporte de l'équité en réduisant les distorsions qui ont pu handicaper certains produits par rapport à d'autres.

Finalement, je crois donc pouvoir tenir pour les ménages la même conclusion qu'avec les entreprises ; les contraintes et les incertitudes financières qui pesaient sur la reprise se sont desserrées.

Revenons enfin aux agents financiers. Je dirais que la situation financière des banques françaises me parait fondamentalement saine. Certes elles ont subi les conséquences du ralentissement de l'économie et elles ont dû constituer des provisions importantes. Cela a pesé sur leur rentabilité en 1992 et 1993. Mais le ratio de solvabilité moyen est aujourd'hui supérieur à 10%, soit nettement au-dessus de la norme minimale exigée de 8%, et légèrement au﷓dessus de la moyenne des pays composant l'Union européenne.

En outre, la réduction des taux d'intérêt offre aux intermédiaires financiers la possibilité de restaurer leurs marges, même si elles devront sans doute faire un effort supérieur pour réduire encore le coût de collecte des dépôts. En effet, les baisses des taux directeurs mettent un certain temps à être répercutées sur les taux proposés au client final.

Plus solvables grâce à la baisse progressive des conditions de crédits, les agents non﷓financiers peuvent néanmoins relâcher en partie leur contrainte d'endettement. Comme, avec la reprise de la croissance, les risques de défaillance de l'emprunteur deviennent plus faibles, les banques sont en mesure, par une activité de prêts qui se développe, de retrouver une meilleure rentabilité.

Alors que l'activité est sur le point de repartir, que les chefs d'entreprises sont plus optimistes notamment sur leurs perspectives d'exportation, et que la demande des ménages est mieux orientée, l'économie française me paraît prête à une reprise saine et soutenue.

Dans cette phase de redémarrage, les banques, qui sont au cœur des interactions entre sphère financière et économie réelle, ont un rôle important à jouer.

Leur dynamisme et leur compétence sauront trouver là une nouvelle occasion de s'illustrer et de traduire dans les faits la moindre pression qu'exerce aujourd'hui, grâce aux efforts de tous, les contraintes financières sur l'activité économique. Après avoir traversé la récession, les banques se doivent aujourd'hui d'accompagner la reprise qui s'amorce.

Je vous remercie.

Jacques Pelletier
Chargé de mission auprès du Ministre de l’économie

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Jacques Pelletier

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