Commentaires et questions
Animateur: Comment peut-on concilier le souhait exprimé notamment par M. Mansion de voir des taux d’intérêt plus faibles pour ne pas étouffer la croissance économique, et en même temps satisfaire les marchés financiers qui, semble-t-il, ont besoin de s'entretenir, de s'auto-entretenir par des carottes financières, fiscales ?
Y. Mansion: Je suis frappé par un point : j'écoutais l'exposé de Gérard Pfauwadel sur les nouveaux instruments, traduisant l'interconnexion des marchés, le grand continuum qui s'est créé dans le temps, dans l'espace, entre tous les produits financiers. Il y a un mot que je n'ai pas entendu, et qui est absolument consubstantiel à toute cette évolution, qui est le mot de spéculation.
Tous ces produits dérivés, toutes ces garanties, ces options sont quand même fondamentalement non seulement des instruments de couverture - c'est ce qui a justifié leur création - mais ce sont aussi des instruments de spéculation. Et dans la masse manipulée, quelle est la part de la spéculation, quelle est la part de la couverture de besoins correspondant à une économie réelle? Je crains que la part de la première ne soit bien supérieure. Et donc, en termes d'utilité rendue à l'économie réelle, je ne suis pas sûr qu'elle soit toujours supérieure au risque qu'elle fait courir à l'économie réelle.
J'ai été frappé par deux chiffres lors des crises monétaires de septembre 1992 et de juillet 1993. Les deux fois, au plus fort de la crise, le montant des positions de change prises par les acteurs sur ces marchés complètement libres était supérieure sur une monnaie à la somme des réserves des banques centrales européennes réunies. C'est dire l'ampleur des mouvements et le fait que le service rendu à l'économie réelle a peut-être quelques limites.
Animateur: Mutation du paysage financier au service de l'économie réelle ou au service des spéculateurs ?
G. Pfauwadel : Puisque mon ami et camarade de promotion Yves Mansion «me cherche», il va me trouver. Effectivement, il ne serait pas honnête de dire qu'il n'y a pas de spéculation, parallèlement au développement de ces nouveaux instruments.
Ces instruments, comme tous les marchés d'ailleurs, par construction, sont un équilibre entre trois catégories d'opérateurs que sont les gens qui cherchent une protection, une couverture, ceux qui cherchent un effet de levier -certains appellent cela spéculation, moi, j'appelle cela effet de levier - et enfin ceux qui arbitrent entre ces différentes familles. Tout marché repose sur ce principe; il est difficile de donner des statistiques, mais il est certain qu'on a besoin des trois, et de manière à peu près équilibrée, pour obtenir un développement relativement sain du marché.
Ceci étant, fautil incriminer cette spéculation qui, je crois, est une part consubstantielle du marché ? Je rappelle d'ailleurs qu'on peut considérer que quelqu'un qui reçoit des dollars, qui est un industriel français, et qui n'irait pas se couvrir sur les marchés à terme ou sur les marchés d'options, est probablement un spéculateur. Il y a même eu des condamnations aux ÉtatsUnis de gens qui, n'ayant pas utilisé les instruments, entre guillemets dits de «spéculation », pour protéger tel ou tel actif de telle ou telle entreprise ou coopérative américaine, ont été condamnés.
En réalité, si vous regardez quels ont été, en termes systémiques, les grands sinistres financiers qui ont affecté depuis quelques années le monde moderne, ils ne sont pas du tout liés aux spéculations sur les instruments dérivés.
Il y a eu quelques sinistres, comme récemment Metallgesellschaft, qui sont cités par la presse. Mais les gros sinistres se situent sur les instruments les plus traditionnels ; comme les prêts aux pays en développement, qui n'ont rien à voir avec les marchés dérivés. Là, il y a eu un vrai risque systémique qui s'est développé. La crise de l'immobilier, c'était le déclenchement, presque mondial, d'un énorme risque systémique: rien à voir avec les nouveaux instruments financiers. Les caisses d'épargne américaines, l'instrument de financement le plus traditionnel aux États-Unis, qui a «explosé» et qui a coûté plus de 100 milliards de dollars aux contribuables américains n'ont rien à voir non plus avec les nouveaux marchés dérivés.
Alors je veux bien qu'on parle de risque systémique, je veux bien qu'on parle de spéculation, mais jusqu'à nouvel ordre, les gros sinistres ne se sont pas déclenchés dans ce secteur; ils se sont déclenchés dans d'autres secteurs extrêmement traditionnels du financement de l'économie.
Donc, je crois qu'il faut être extrêmement prudent lorsque l'on parle de spéculation. Il est de plus en plus difficile de faire la part des choses entre la couverture et la spéculation. Je défie beaucoup de gens de me démontrer ce qui est protection ou ce qui est spéculation.
Il est certain que le système est plus difficile à administrer aujourd'hui. C'est vrai qu'autrefois, c'était facile. On avait des marchés cloisonnés, des institutions financières dont les Présidents étaient nommés en Conseil des Ministres et une Direction du Trésor omnipotente qui gérait l'ensemble, et qui avait donc la totale maîtrise du risque systémique, en changeant les présidents, et de temps en temps en faisant appel aux contribuables pour recapitaliser telle ou telle institution défaillante.
C'est vrai qu'aujourd'hui, ça ne marche plus comme ça. Alors, si on appelle risque systémique, effectivement, la capacité qu'ont les autorités de tutelle à gérer les chocs, il est clair que la manière de gérer les chocs n'est plus tout à fait la même dans l'environnement déréglementé et désintermédié qui est le nôtre.
C'est vrai que l'on a déplacé l'endroit où se trouvent les risques, et c'est vrai que, pour utiliser le jargon, la « marchéisation » des instruments a éclaté le risque chez d'autres familles d'investisseurs et d'acteurs. Et donc, du coup, la gestion des risques systémiques n'est plus tout à fait la même. On est obligé de passer par les agences de notation. On est obligé d'intervenir par le biais d'allocation de fonds propres, les fameux ratios Cooke...
Donc, le contrôle est plus compliqué et il s'exerce plus en amont; mais, en tout état de cause, je crois que cela fait partie de la modernité des choses et, il est clair que, à ce stade, personne ne remet fondamentalement en cause cette modernisation des marchés financiers. C'estàdire que les avantages apportés en termes d'optimisation d'allocation des ressources, en termes de gestion moderne des finances, dépassent considérablement les quelques sinistres qui ont résulté de cette modernisation des marchés financiers. Et je ne connais aucun rapport, aucun expert responsable qui ose prétendre le contraire.
Question : Pour rester sur le thème des nouveaux instruments financiers, je voulais aussi évoquer l'aspect des profits qui sont générés par ces instruments, plutôt que de parier des risques. On constate, notamment en 1993 pour prendre un exemple récent, que les banques et les intermédiaires ont gagné énormément d’argent, grâce aux nouveaux instruments financiers. Pensezvous que la répartition par rapport aux profits qu'en tire la sphère réelle est équitable ?
G. Pfauwadel: En ce qui concerne le petit marché dont j'ai la responsabilité, nous savons exactement à tout moment qui gagne, qui perd. Tous les soirs, le jeu est à somme nulle, par construction. C'est-à-dire tous les soirs, ce qui a été perdu par les uns, a été gagné par les autres, au «frottement» près de ce que prend l'organisateur de marché, Matif S.A., pour faire fonctionner l'ensemble, un frottement minuscule. Le charme des marchés modernes, c'est qu'ils ne prélèvent que très peu de commissions sur leur fonctionnement. En tout cas, en ce qui nous concerne, il n'y a pas de profit, par construction, il y a simplement déplacement. Il y a optimisation de l'allocation de la ressource financière.
M. Jacob : C'est vrai que les banques ont réalisé un exercice 1993 très bon sur les marchés.
Si on regarde quelques banques dont je connais un peu plus en détail les résultats, je ne suis pas sûr que se soient les nouveaux instruments financiers qui ont généré ces profits. C'est en partie le cas, mais quand on regarde plus en détail, sans avoir de statistiques d'ensemble, on a quand même le sentiment que le pôle essentiel de réalisation des profits de marché dans l'année .1993, ce sont les changes. Pour une raison qu'on connaît tous, qui est l'élargissement des marges de fluctuation, avec du coup, un volume d'activité beaucoup plus élevé, et effectivement des gains considérables, proportionnels aux volumes engendrés dans les salles de marché. Je crois que si on décortiquait les résultats des banques, on trouverait effectivement une croissance considérable de la contribution des salles de marché, mais pas forcément au sens « nouveaux instruments ».
Y. Mansion : Je voudrais citer un pays, quand même, où la question posée se pose en termes presque politiques maintenant.
C'est en Allemagne. En 1993, en Allemagne, les grandes banques et organisations financières ont fait des résultats extraordinaires, avec des profits qui se comptent en milliards de marks pour la DeutscheBank ou la DresclnerBank, c'est-à-dire des profits tout à fait considérables, venus pour l'essentiel des marchés et des activités de marché. En même temps, on voit bien que les grandes industries allemandes traversent une crise sévère, la plus sévère qu'elles aient connue depuis la guerre, et que le rôle des banques est spécialement mis en cause, sur leur attitude insuffisamment surveillante, trop laxiste vis-à-vis des institutions industrielles.
Le problème qui est arrivé à « Metallgesellschah», qui a eu des difficultés sur les marchés de «futures», notamment aux ÉtatsUnis, est présenté en Allemagne comme un défaut de surveillance des grandes institutions financières DeutscheBank, et DresdnerBank, actionnaires et banquiers de cette grande société, tandis que DeutscheBank et DresclnerBank ont fait, elles, sur les mêmes marchés des profits considérables. Donc il peut y avoir un problème politique dans un pays où les institutions financières se portent très bien, les grands groupes industriels mal, et où précisément, c'est sur les marchés que les uns ont gagné de l'argent, et que les autres en ont perdu.
Question : Je voudrais évoquer quelques risques, qui me semblent n'avoir pas été complètement couverts. Concernant l'ensemble de ces mutations qui se sont produites, je me pose la question: Est-ce que ça va trop vite, ou pas assez
vite ? Au fond, l'économie française, c'est un gros secteur public qui avait beaucoup recours aux obligations pour financer de grands projets d'investissement public, sous la férule de l'État. C'était, et c'est encore, un gros secteur industriel qui se finance sur des taux fixes, et aussi sur des échéances courtes, ce qui fait peut-être que, par rapport à d'autres économies, il souffre de la structure actuelle des taux... C'était aussi, et ça le reste, je crois, l'absence de grands fonds de pension ou d'actionnaires stables, d’où la difficulté de constituer lors des privatisations des actionnariats suffisamment solides et pérennes, alors qu'on assiste plutôt à des participations croisées (l’UAP ayant des participations dans la BNP qui a des participations dans l’UAP). D'où ma question: Est-ce que la mutation est assez rapide, estce qu'il existe des fonds de pension et un actionnariat stable et solide qui vont pouvoir se substituer à l'actionnaire public ?
Animateur: En somme, vous considérez que les mutations que l'on a dites absolument extraordinaires et très rapides ne l'ont pas été assez ?
G. Pfauwadel: Je considère que notre marché financier est parmi les meilleurs du monde. Je ne vois pas vraiment ce qu'on peut faire de mieux en ce qui concerne, par exemple, la dette publique. Nous sommes, en termes de gestion, d'organisation, de backoffice, de capacité et de volume du marché, probablement l'un des meilleurs marchés du monde. Il n'y a donc pas trop d'inquiétude à avoir sur la capacité de ce pays à générer la ressource à taux fixe sur presque toute la gamme des échéances nécessaires au financement des grands projets ou des industries.
C'est vrai que du côté des actions, on a encore beaucoup de chemin à faire. Je rappelle que l'impôt de bourse n'a été supprimé, et encore pas tout à fait complètement, que de manière extrêmement récente dans une loi de finances du mois dernier, que le programme de privatisation est à peine enclenché, et que, en terme d'offre d'actions, nous sommes très loin du compte par rapport aux autres. Nous sommes derrière, je crois, la Malaisie et beaucoup d'autres pays en terme de volume d'actions.
Enfin, il est vrai que nous ne sommes pas encore tout à fait à jour en matière de fonds de pension et de systèmes de financement par capitalisation, et c'est la prochaine grande réforme qui devrait compléter, je crois, la palette de Ici modernisation de notre marché financier.
La seule chose qu'il faut espérer, c'est que le mouvement ne s'interrompe pas et que l'on puisse aller jusqu'au bout pour être cohérent. Le pire, c'est effectivement de s'arrêter au milieu du gué et d'avoir les inconvénients de l'ancien système sans avoir eu le temps de recueillir tous les avantages du nouveau.
M. Jacob : Je voudrais apporter un complément, sur la difficulté de constituer l'actionnariat stable des privatisés.
Audelà du souhait de l'État de continuer à exercer parfois un rôle dans quelques secteurs stratégiques, il est bien certain que, quand on analyse en détail la composition de l'actionnariat tel qu'il est envisagé pour les sociétés privatisables en ce moment, on voit transparaître la difficulté d'avoir un actionnariat stable et durable.
Alors, on se sert de différents ingrédients; d'une part, la notion même de GAS (Groupe d'Actionnaires Stables) est une notion difficile à mettre en oeuvre, pas tant parce qu'il y a eu un début d'opprobre sur les noyaux durs des privatisations de 1986-1988, que parce qu'aujourd'hui, on trouve de moins en moins de gens qui sont prêts à payer un « delta » de prix pour avoir le droit d'être coincés dans un actionnariat. Aujourd'hui, on voit d'ailleurs que l'écart de prix pour les actionnaires stables est de plus en plus réduit par rapport au prix d'offre publique. Donc on en trouve peu. Et d'ailleurs, pour les groupes qui n'ont pas entamé une réflexion sur leur coopération industrielle avant leur privatisation, ce n'est pas dans la période de privatisation, qui dure quelques semaines, qu'on peut l'enclencher; c'est ainsi qu'on le repousse à après le processus de privatisation, c'est notamment ce qu'on est en train de voir chez Elf.
Deuxième ingrédient pour l'actionnariat stable, ce sont les salariés, parce que, d'une manière ou d'une autre, ils fournissent un matelas durable dans le temps. Et c'est vrai que là, on voit se développer l'ingénierie financière et des astuces diverses, bonnes d'ailleurs, pour permettre aux salariés de souscrire un maximum de titres, parce que, ultérieurement, ils permettront d'asseoir une certaine stabilité de l'actionnariat.
Et, dernière chose, on voit l'État prendre, ou garder un morceau de participation, simplement parce que s'il se défaisait de l'ensemble de ses actions, on ne serait pas tout à fait assuré d'avoir un fond d'actionnariat prémunissant un certain nombre de grands groupes industriels contre des changements rapides.
Donc, je souscris tout à fait à ce que vous avez dit sur le fait que pour l'instant, dans l'organisation du système, et bien qu'il faille considérer que les institutionnels qui souscrivent auront de fait une certaine stabilité même s'ils n'acceptent pas les règles du groupe d'actionnaires stables, il existe un vrai problème d'actionnariat durable de ces grands groupes qu'on privatise.
Animateur: Monsieur Mansion, les fonds de pension, pour vous, Directeur Général des AGF, doivent être une mutation du paysage financier que vous attendez avec impatience ?
Y. Mansion : Oui, bien sûr. C'est évidemment un des acteurs importants qui manque encore actuellement dans le paysage financier français, pour qu'il ait une capacité de financement comparable à celle des anglosaxons et de l'Allemagne. Mais il n'y a pas de doute, l'exemple des privatisations le montre, les investisseurs qu'on trouve le plus facilement, ce sont les fonds de pension anglosaxons qui ont des masses de manœuvre absolument considérables.
Ce n'est pas simplement le fonds de pension. C'est le principe de la capitalisation. Et là, je reviens à ce que je disais tout à l'heure sur la préférence pour le court terme. L'intérêt de l'épargneretraite par capitalisation, c'est que c'est un engagement à long terme. Et le collecteur de cette épargne à long terme, peut, lui aussi, faire un placement à long terme, tout simplement.
Prenons le cas où quelqu'un souscrit - les mots ont une coloration très XIXe siècle, très Napoléon III et très nocive -ce qu'on appelle en termes techniques « la rente viagère à capital aliéné », c'est affreux; rente déjà c'est pas beau, viagère, ça inquiète, à capital, jusqu'à il y a peu de temps, ça sentait un peu le soufre, et aliéné, alors n'en parlons pas, c'était vraiment asilaire. Mais cela veut dire quoi « la rente viagère à capital aliéné » ? Cela veut dire que l'épargnant met de l'argent, y renonce définitivement, et accepte de ne le revoir qu'à l'âge de sa retraite. Le collecteur d'épargne qui collecte cet argent, peut, lui aussi, avec le fruit de cette collecte, prendre des engagements à long terme, financer des Eurotunnels, financer des augmentations de capital d'entreprises industrielles, c'est-à-dire de l'argent qu'il rendra indisponible et qu'il ne pourra pas liquéfier aussi facilement.
A partir du moment où, selon le phénomène que je décrivais tout à l'heure en introduction, toutes les incitations, fiscales notamment, sont données à des produits de plus en plus courts, 10 ans, 8 ans, 6 ans, 5 ans... le collecteur d'épargne ne peut pas, lui, prendre d'engagements très longs. Il ne peut pas prendre de risque de transformation, surtout qu'en plus, le consommateur exige de plus en plus, même dans cette durée courte, de pouvoir sortir à des périodes intermédiaires. Donc nous allons, nous, collecteurs d'épargne, souscrire des OAT, «stripper» des OAT, enfin des choses qui sont à des horizons brefs. Nous n'allons pas souscrire à des emprunts perpétuels, à 30 ans et à 3%, comme ceux qu'il faudrait peut-être pour financer les grands investissements, voire le déficit public.
Donc, l'absence de ce système de fonds de pension, et surtout l'abandon, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, du principe de capitalisation, sont effectivement des handicaps dans le financement de notre économie actuellement.
Question: On a abordé un sujet qui concerne essentiellement le secteur financier et les grandes entreprises. Mais, on n'a pas parlé de lien pour le moment avec les ménages et la consommation.
Dans ce que vous avez dit, on a l'impression que l'on a mené des mutations comme s'il y avait une fatalité, et qu'il fallait qu'on les mette en oeuvre à un certain moment; comme vous l'avez dit, Gérard Pfauwadel et également Michel Jacob, notamment parce que l'État avait besoin d'argent, et que les entreprises ne représentaient pas une taille suffisante: ce n'est pas tellement constructif. On a l'impression que l'on subit quelque chose, qu'il y a des contraintes et que l'on s'y adapte, et on sent derrière plutôt le court terme que souligne Yves Mansion. Est-ce que ces mesures apportent vraiment quelque chose pour l'emploi des ménages et pour leur consommation ? Ou est-ce que ça n'a aucun effet, sur le court terme et sur le long terme? Qu'en pensez-vous ?
G. Pfauwadel: En ce qui concerne l'emploi, je n'ai pas la réponse. Mais, pour le consommateur, en tout cas, pour l'individu et l'épargnant, j'ai quand même le sentiment qu'il n'a jamais été aussi bien traité que depuis quelques années.
Yves Mansion nous a montré combien il y avait, depuis dix ans, une vraie rémunération positive de l'épargne. Et cela concerne tout le monde; cela concerne vous, comme moi, dans vos économies. Jamais vous n'avez obtenu une meilleure rémunération, par rapport au trend historique, où effectivement le rêve de tous les assureurs, c'était de prendre l'argent des gens, en les rémunérant à 1 % jusqu'à la fin de leur vie, ou en ne les rémunérant pas du tout il y a d'ailleurs souvent eu des rémunérations négatives de l'épargne, après-guerre dans ce pays.
Pour ce qui concerne en tout cas le citoyen, et l'épargnant, ce phénomène de taux d'intérêt positif et de rémunération réelle de la valeur temps ne me parait pas choquant.
Avec une rémunération correcte de l'épargne (je ne sais pas quel est le niveau correct, peut-être 2, 3, 4% ; il est probable que 6% c'est trop, il est clair que 1 % ce n'est pas assez), faites-nous de beaux projets, et les marchés trouveront les financements. Je n'ai pas d'exemple où, effectivement, un beau projet n'ait pas trouvé sur les marchés un financement correct. Le Trésor Public, qui a une très bonne signature, s'endette sans problème à 30 ans, et trouve l'argent qu'il veut, à 30 ans, à finalement des conditions qui, aujourd'hui, sont aux alentours de 6 %, soit un taux d'intérêt réel de 3 à 4% en fonction des anticipations d'inflation que l'on a.
Donc, pour moi la réponse, c'est qu'il existe probablement un taux intermédiaire qui donne satisfaction à la fois à l'épargnant et au citoyen, et qui permette de financer, pour le bien des marchés financiers et des industriels, les bons projets sur une durée longue.
Y. Mansion: Gérard Pfauwadel a saucissonné, si j'ose dire, le particulier en trois aspects: d'une part l'épargnant, d'autre part le consommateur et puis enfin le travailleur.
Il est clair que l'épargnant est content! Donc les retraités, les rentiers sont contents...
D'ailleurs, j'étais frappé de voir que dans la dernière étude publiée par le Cerc sur l'évolution des revenus comparés du troisième âge et des actifs, l'écart en faveur des inactifs avait encore augmenté. Donc le rentier est content, mais on ne peut quand même pas faire vivre tout un pays d'une économie de rente.
La réponse est également dans ce que disait Gérard Pfauwadel : il y a sûrement un niveau de taux d'intérêt réel dans lequel, certes la rémunération de l'épargne est correcte, mais en même temps la consommation n'est pas dissuadée, et le travail non plus. Donc quelque chose qui est plus favorable à la consommation, à la production, à l'investissement et à l'emploi.
Alors, quel est le niveau de taux d'intérêt réel qui est correct 2 Je me souviens que cette question avait été posée au Professeur Malinvaud, il y a une dizaine d'années, par le Ministre des Finances de l'époque, Pierre Bérégovoy, qui lui demandait: « Quel est le bon taux d'intérêt réel ? » -les taux d'intérêt étaient alors à 10- 12 % en nominal. Le professeur Malinvaud avait longuement hésité pour, dans sa sagesse, ne pas donner au Ministre une indication qui soit erronée; je crois me souvenir, Monsieur le Professeur, que vous aviez dit: « Quelque part, aux environs de 3%, on ne doit pas être loin d'un système susceptible de fonctionner». Alors, détrompez-moi si, 10 ans après, je maquille votre opinion. Mais on voit bien que c'est là que se fait le partage entre un système financier qui ne rend service qu'à une certaine activité, ou qui est capable de faire redémarrer l'ensemble de l'activité.
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