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14 février 2004

Les caractéristiques du marché du travail

Avant d’aborder les caractéristiques du marché du travail, je voudrais dire un mot concernant l’aspect extérieur. Dans le prolongement de ce qui a été dit dans la table ronde précédente, un point fréquemment discuté concerne le taux de change dans l’aggravation de la situatyion à ce propos, je voudrais indiquer qu’à mes yeux, la politique de change, résumée jusqu’ici sous le terme de politique de Francfort, est loin de porter une responsabilité importante dans l’aggravation du chômage, au contraire. Depuis des années, cette politique de change et ses résultats en matière de politiquer anti-inflationniste ont favorisé l’évolution de notre solde extérieur, ce qui constitue la meilleure contribution politique macro-économique puisse apporter sur ce front au problème de l’emploi. Affirmer que la compétition ne porte pas la responsabilité «essentielle du chômage, c’est, d’une certaine manière, introduire le sujet, puisque c’est renforcer l’importance des facteurs proprement internes. C’est refuser l’idée qu’il y ait des boucs émissaires, que ce soit les pays à bas salires ou les « gnomes » de Francfort. C’est donc que nous ne choisissons pas, c’est évident le propre de la politique économique est de chercher à obtenir par l’ajustement des variables internes les meilleures résultats possibles en matière d’emploi.

Dans la préparation de cette table ronde, nous avions eu un petit échange de vue pour savoir si l’on pouvait quantifier les différents facteurs expliquant l’ampleur actuelle du chômage ; finalement, nous avions abouti avec Monsieur Charpin à un diagnostic qui était assez proche, même s’il y a quelques nuances entre nous. Pour ce qui me concerne, je retiens volontiers l’idée qu’effectivement, dans la situation actuelle, il y a au minimum 3% de chômage lié à l’insuffisance de la demande. En effet, la phase de croissance antérieur des années 1988 – 1991 avait amené un taux de chômage qui amorçait une décrue au-dessous de 9% sans qu’à l’époque on ait perçu de véritable obstacle à la poursuite de ce mouvement. Il est vrai qu’il y avait certaines formations. Mais ces caractéristiques restaient quand même ténues. Au total, on pouvait tout à fait imaginer que la poursuite du type de croissance en vigueur entre 1986 et 1991 du point de vue de la demande et du point de vue des prix relatifs, aurait permis d’aller encore un peu plus loin dans le recul du taux de chômage . Mais jusqu’où ? On pourrait trouver de l’ordre de 3% de chômage classique en résumant par là deux idées assez différentes; la première concerne l'excès des coûts salariaux par rapport à la productivité marginale du travail; l'autre, l'indemnisation du chômage qui rend le coût du retour d'un chômeur à une situation d'employé particulièrement élevé. Donc, 3 % sont expliqués par l'insuffisance de la demande, 3% par le chômage classique, il reste à expliquer environ 5%. Dans ces 5%, il peut y avoir 2% traditionnellement attribués à l'idée de chômage frictionnel, incompressible selon les standards internationaux, et donc il y a, d'après beaucoup d'observations et d'enquêtes, de l'ordre de 3%, de personnes pour lesquelles l'employabilité, suivant le terme très horrible qu'a inventé l'Insee, est devenue extrêmement réduite dans la situation actuelle de notre pays.

Face à ce constat, quelles sont les idées qui ont été principalement débattues ces dernières années pour lutter contre le chômage, indépendamment du chômage de demande qui n'est pas le sujet que nous avions à traiter? L'animateur de cette table ronde m'a suggéré d'évoquer trois thèmes: les services, la durée et le coût du travail.

En ce qui concerne les services, l'idée est bonne mais elle n'est pas très spécifique. Quand on creuse comme on l'a fait depuis des années l'idée suivant laquelle il y a dans les services des gisements d'emplois extrêmement nombreux, on trouve une idée très simple, c'est que les gisements d'emplois ne sont plus dans l'agriculture et qu'ils ne sont plus non plus dans l'industrie du moins au sens des années 1960 ou même du début des années 1970. Par conséquent, c'est une espèce de trivialité. Si on veut aller plus loin dans la réflexion et chercher en terme de politique économique ce que veut dire le fait de créer des emplois dans les services, on est vite plongé dans un océan de perplexité. On tombe sur les concierges ou sur les emplois supplémentaires dans le métro.

On trouve d'excellentes idées, comme le chèque-services, qui apporterait, c'est certain, une contribution à la solution du problème de l'emploi, mais qui se heurte à la résistance de la société française au changement. Dans le travail domestique, on pourrait en effet simplifier la vie des personnes employées et des ménages employeurs en forfaitisant les contributions sociales que doivent les ménages employeurs. C'est une réflexion amorcée dans l'administration depuis déjà plusieurs années, à laquelle les partenaires sociaux s'opposent parce qu'elle va à l'encontre du principe selon lequel les cotisations sociales ouvrent des droits strictement déterminés par les contributions. Pouvoir forfaitiser, en payant par exemple par des timbres, les cotisations sociales que l'on doit pour l'emploi d'une femme de ménage pendant 3 heures, une demi-journée ou une journée, cela va à l'encontre de ce principe fondateur, à la valeur quasi-constitutionnelle. J'y ai toujours vu un exemple très parlant de la difficulté que l'on a à réformer ce pays d'une manière paisible et progressive. Donc créer des emplois dans les services est évidemment une bonne idée, il va de soi qu'il y aura beaucoup d'emplois dans les services à venir, mais il est difficile d'en faire une ligne de conduite politique efficace.

À propos de la durée du travail, je dirais volontiers que c'est une fausse bonne idée. C'est une bonne idée, c'est même une excellente idée parce que la baisse de la durée du travail est une tendance séculaire. il n'y a pas de raison pour imaginer une interruption de ce mouvement de réduction séculaire. Le seuil auquel nous nous trouvons actuellement est une étape dans l'histoire des relations sociales du travail et je suis prêt à parier que dans un avenir indéterminé des pas supplémentaires seront faits dans la direction d'une baisse de la durée du travail. De nouvelles formes d'organisation du travail se mettront en place sur la base de formules qu'on a de la peine à formaliser de manière très claire. Il pourrait s'agir de la semaine de 4 jours, du travail en 2 équipes en semaine et le week-end, ou de la semaine des 30 heures avec une journée de 6 heures, mais l'entreprise restant ouverte 6 jours par semaine. Plusieurs formules peuvent concurrencer la formule héritée de la période de croissance antérieure. Donc c'est une bonne idée dans le long terme, mais qui a du mal à être formulée avec précision dans des choix de politique économique et sociale, comme on l'a vu encore cet automne. L'expérience de 1982 prouve définitivement que cette politique ne peut pas être impulsée de manière centralisée par l'État. Et finalement, suivant mon expérience, c'est une idée dont, au fond, personne ne veut. Elle a eu une bouffée de succès l'an dernier, faute de solutions alternatives, mais le corps social pour l'instant n'en a pas fait le tour et refuse de la prendre en considération de manière précise.

Alors ces deux arguments, qui mêlent un peu la réflexion économique et sociale, conduisent à privilégier le troisième thème, le coût du travail. J'apporterai ma pierre d'économiste à ce qui a été dit auparavant. Je crois que le coût du travail en France n'est pas trop élevé dans l’absolu, par rapport à certains de nos concurrents et en particulier par rapport à l'Allemagne. Ce qui est très particulier, c'est le financement de la protection sociale dont Denis Kessler va parler dans un instant. Le coût du travail est le seul indicateur, dont on était absolument certain qu'il serait en hausse régulière à court, moyen ou long terme. Par conséquent c'était le support du calcul économique le plus fiable que l'on puisse imaginer, le paramètre sur lequel les industriels pouvaient se fonder depuis des années pour faire leur choix. C'est à mon avis une cause extrêmement importante de l'excès de mécanisation dans lequel cette économie et cette société ont évolué depuis des années, et auquel, depuis le week-end dernier, on commence peut-être à mettre fin, par exemple, à propos de la RATP.

Mis à part dans l'industrie où les conditions de la productivité et du bon usage des technologies et de la mécanisation sont dictées par la concurrence internationale, cet excès de la mécanisation s'explique à mes yeux par l'excès des coûts salariaux. Cela implique que l'allégement des charges sociales soit considéré comme une politique de toute première priorité pour laquelle il y a des formulations beaucoup plus claires que sur la durée du travail ; le travail réalisé sous la présidence de Jean-Michel Charpin il y a quelque temps en avait été un excellent exemple. Dans ce contexte, je suis frappé par la lenteur de l'évolution des esprits. Cela tient en particulier à la complexité du sujet puisque basculer le financement de masses très importantes de dépenses d'une assiette sur une autre a dans d'autres domaines laissé beaucoup de mauvais souvenirs, je pense à la taxe professionnelle.

Pour conclure je voudrais insister sur un dernier point. Il y a beaucoup de confusion dans les esprits parce que l'on considère souvent que la question du financement de la protection sociale est une affaire de revenus. Comme on raisonne en répartition, il y a une masse de dépenses à financer et donc il faut trouver une masse de recettes. C'est une démarche budgétaire. Mais l'économiste récusera volontiers cette idée. Bien sûr la masse il faudra la trouver, mais ce qui est important, c'est l'assiette et le prix que l'on va imposer à un bien particulier dans l'économie. Et naturellement le fait d'avoir choisi l'emploi est le choix le plus anti﷓économique qui ait été fait. Je crois que la formulation nouvelle de Michel Bon et qui peut aider à faire évoluer les esprits sur ce problème est la suivante: lorsqu'un RMiste se voit proposer un emploi plein au Smic il s'agit pour lui d'un écart de revenu net au maximum de 2000F et lorsque l'employeur propose à un RMiste ou à une personne au chômage un emploi net supplémentaire c'est une masse de 8000F. Alors, lorsque dans l'économie un offreur et un demandeur, en parlant du même bien, ont l'idée que le prix est de 2000F pour l'un et pour l'autre de 8000 F, il n'est vraiment pas surprenant que cela crée des situations sous-optimales !

Jacques Mistral
Directeur Général dAxa-Marine Aviation Transport

Autrice

Jacques Mistral

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