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14 février 2004

Commentaires et questions

Question : Tous les grands experts cherchent à travailler sur ce drame national et européen du chômage pour essayer de gagner quelques centaines de milliers d'emplois par rapport à plusieurs dizaines de millions. Ce n'est sans doute pas l'objectif de la meilleure solution mais de la moins mauvaise. Fondamentalement, aujourd'hui ne doit-on pas rechercher des solutions prenant en considération le fait que le chômage se situe à un seuil important, et faire en sorte que ces solutions résolvent les aspects en termes de drame humain ? N'est-ce pas là la priorité ?

E.Malinvoud : Cette session donne une allure un peu désespérante au problème; je crois que malgré tout c'est un peu exagéré. Il me revient peut être! à mon âge, de redonner un peu l'espoir.

La pire des choses, face à la situation que nous connaissons, serait de se lancer tête baissée dans des réformes qui feraient plus de mal que de bien. Or ce risque est tout à fait réel, Avant de proposer d'autres choses, et périodiquement il y a quelques esprits qui en imaginent, *le souhaiterais donc qu'on les étudie à fond et qu'on les étudie avec le sens critique qui convient, et pas simplement avec l'idée qu'on a trouvé une solution.

Il faut trouver des solutions mais il ne faut pas imaginer que ces solutions vont être rapides. Quand Jean-Michel Charpin parlait de centaines de milliers d'emplois, il parlait de la France et pas de l'Europe et donc ce n'était pas comparé à des millions. Moi, je reste fidèle aux statistiques au sens du BIT, ç'est tout de même une bonne définition; je sais bien que ça classe comme chômeurs beaucoup de gens, qui ont chacun leur histoire individuelle, mais pour certains d'entre eux, la situation n'est pas dramatique il ne faut tout de même pas exagérer. Avec des centaines de milliers d'emplois créés successivement au cours des ans, la situation sera meilleure au début du siècle prochain. Il ne faut donc pas non plus verser dans un pessimisme excessif. J'ai eu l'impression que la combinaison des trois orateurs n'ouvrait pas beaucoup de perspectives.

D.Kessler: Je comprends tout à fait la remarque d'Edmond Malinvaud, selon laquelle il faut faire attention à ne pas désespérer tout le monde sur ce problème du chômage. Il y a, je crois, de nombreuses actions possibles. L'ennui, c'est qu'à chaque fois que l'on essaie de les mettre en oeuvre de manière concrète, on se heurte à des résistances de toutes natures, politiques, syndicales, administratives, etc. Il faut vraiment en France être un titan pour faire bouger les choses même de manière infinitésimale. Mes collègues ont parlé du marché externe du travail, mais il y a aussi de vrais problèmes sur le marché interne du travail dans les entreprises. Je vais prendre deux exemples.

Premièrement, l'exploration fine, en économiste, des conventions collectives en vigueur en France montre que certaines de leurs dispositions peuvent être destructrices d'emploi. Quand vous avez des règles d'ancienneté rigides, indépendantes de tout gain de productivité, provenant de l'individu ou de l'entreprise, qui renchérissent année après année de un à deux points le coût du travail avant même l'augmentation générale des salaires, il ne faut pas croire que ceci ne provoque pas à terme des destructions d'emploi. Mais qui arrive à l'heure actuelle à convaincre les uns et les autres d'atténuer dans les conventions collectives les rigidités issues de la période d'aprèsguerre, par exemple pour les règles d'ancienneté ?

Deuxièmement, à l'heure actuelle, nous avons en France le système social qui génère le plus d'externalités pour les entreprises. Les entreprises détiennent en lui un moyen extraordinaire de transférer à peu de frais, et même souvent gratuitement, leurs problèmes sur la collectivité. Regardez les mécanismes de préretraite ou de retraite, regardez l'assurance chômage. Vous avez un problème de sureffectifs, il existe des réceptacles sociaux, auxquels on peut recourir sans coût! Il faut ré-internaliser dans les calculs micro-économiques de l'entreprise un certain nombre de dispositions afin qu'elles n'aient plus la possibilité de mettre à la charge de la collectivité les ajustements qu'elles sont obligées de faire.

Sur ce deuxième point, vous voyez la difficulté en France de réformer le système social pour que, d'une manière ou d'une autre, les entreprises soient plus responsables dans leurs comptes d'exploitation, et dans leur bilan, de la gestion de leurs effectifs sur le long terme.

Voilà deux idées très simples: premièrement, comment ré-internaliser une partie des effets externes qui sont bien trop forts dans le domaine social; deuxièmement, comment nettoyer les dispositions conventionnelles qui posent des problèmes terribles en matière de flexibilité du travail. Essayez maintenant, à votre niveau, de faire avancer ces deux dossiers; vous allez vous apercevoir que c'est titanesque.

J.-M.Charpin: Je pense effectivement que la façon dont la politique de l'emploi et du chômage s'est déroulée en France depuis 20 ans est consternante. Nous avons obtenu des résultats qui sont franchement mauvais alors que, par ailleurs, les résultats de l'économie française ont été plutôt bons, que ce soit dans le domaine du commerce extérieur, de la croissance, de l'inflation, etc. Donc nous n'avons pas d'excuses pour expliquer pourquoi, dans le domaine de l'emploi, nous avons eu des résultats très mauvais. Le scandale d'ailleurs n'est pas tellement le fait que nous ayons pris 3 points de chômage en plus au cours de la récession, mais plutôt qu'au début de ce cycle récessif, nous soyons partis d'un taux de chômage qui était de l'ordre de 9% de la population active, largement supérieur à celui des autres pays. La société française, parce qu'il s'agit plus là d'un problème de société que d'un problème de gouvernement, a un mal fou à mettre en œuvre un certain nombre de solutions efficaces, inspirées à la fois de l'analyse économique et de ce qu'ont fait les autres pays. Les fausses fenêtres jouent un rôle considérable. Le débat de l'automne dernier sur une réduction drastique de la durée du travail en est un exemple typique. Le problème des fausses fenêtres, c'est qu'elles empêchent de distinguer les vraies fenêtres.

Question : Tout en ayant un très grand respect pour la sagesse de Monsieur Malinvaud, je crois qu'attendre l'aube du prochain millénaire pour résoudre un certain nombre de questions sur le chômage risque de créer une véritable fracture des générations dans notre pays et je crois qu'il faut qu'on s'y attelle bien plus tôt. Monsieur Charpin a dit que, fin 1990, on ne se préoccupait pas trop du chômage parce que, étant arrivé à un taux de chômage de 9% seulement après la croissance des années 1986-1990, on s'était dit que finalement on était sur la voie du retour à un taux favorable. Je trouve qu'effectivement on aurait dû se poser cette question à l'époque et non pas attendre la continuation des effets d'une croissance qui s'est arrêtée. Ensuite je suis un peu surpris que Monsieur Kessier propose de demander aux entreprises d'avoir la charge d'un certain nombre de travailleurs, dont elle se décharge en les mettant par exemple en préretraite, alors que l'un des problèmes sur lequel il y a un consensus, est globalement le coût du travail, qui est relativement élevé en France, non pas en termes de salaires nominaux, mais en termes de coût du travail associé aux charges sociales. Enfin je voudrais demander à Monsieur Mistral pourquoi cette idée de la réduction de la durée du travail est une idée aussi fausse qu'il le dit? On pourrait imaginer qu'elle soit associée à une réduction des coûts du travail notamment en réduisant la charge de l'Unedic si tant est que cela puisse créer des emplois.

J. Mistral : Je n'ai pas dit que la réduction de la durée du travail était une mauvaise solution, mais j'ai dit que c'était une fausse bonne idée. Dans mon esprit c'est une bonne idée,. mais c'est quand même une fausse bonne idée parce que personne n'en veut.

Vous avez donné vous-même la réponse dans votre question ; la seule façon de la mettre sérieusement en œuvre est de procéder à une réduction des revenus unitaires qui soit compatible avec l'équilibre des comptes d'entreprises qu'implique cette orientation. Quand j'ai dit que personne n'en voulait, c'est parce que vous ne trouverez nulle part, dans les organes représentatifs des forces sociales et productives de ce pays, du côté des représentants des chefs d'entreprises ou du côté des représentants des organisations de travailleurs, des formulations détaillées constructives, des revendications sur ce terrain. Les entreprises savent que c'est un terrain extrêmement dangereux si ça devient un enjeu politique. Elles ont été instruites par l'expérience de 1982. Les organisations syndicales savent qu'à la base, c'est une revendication qui privilégie la solidarité, le partage du travail, ce qui est souhaité. En revanche, c'est une solution que l'on préfère ne pas étudier sérieusement parce que cela se ferait au détriment du revenu par tête.

Voilà ce que je voulais dire sur la durée du travail. J'ajoute que je partage le sentiment de Jean-Michel Charpin quand il a parlé de performances consternantes sur l'emploi dans ce pays. Il y a un tas de domaines dans lesquels les performances du pays, de l'économie et de la société ont été excellentes depuis 15 ans. Par exemple, la France a bien géré les lendemains des erreurs de politique économique du début de la décennie, grâce au travail du parlement et pas simplement celui du gouvernement et de l'administration. De même, dans le domaine technologique, dans beaucoup de grands programmes, il y a beaucoup d'exemples, en dehors du change, dans lesquels la France a atteint les objectifs qu'elle s'était fixés.

J'ajoute qu'il y a dans ce pays une organisation de l'économique et du social dans laquelle il existe une partie du pouvoir social où les responsabilités sont insuffisamment claires. De ce fait, les enjeux, les négociations, comme l'a décrit brièvement Denis Kessler, ne permettent pas d'aboutir aux solutions dont chacun sait plus ou moins consciemment qu'elles sont au bout du chemin.

Question: Dans les suggestions que j'ai pu entendre, l'une en tout cas me parait intéressante. Elle concerne l'augmentation de l'ouverture des services, la prolongation de la durée d'ouverture des magasins, des services publics, des administrations, etc. Je pense que le citoyen peut vraiment y trouver un bénéfice. Quand il travaille, il a vraiment des difficultés à trouver ce qu'il veut dans les horaires qui lui sont proposés. Hier des décisions ont été prises dans ce sens là en Angleterre. Il y a peut être là des gains d'emplois à trouver. De plus, cela correspondrait à une amélioration du service.

J.-M.Charpin: Comme banquier, je peux dire que nous sommes un pays -extraordinairement bien équipé en guichets automatiques. Je ne crois pas qu'il y ait de loi de nature qui fasse que les Français préfèrent s'adresser à un guichet automatique plutôt qu'à un vrai guichet. Mais il se trouve que nous vivons avec un certain nombre de contraintes sur les horaires d'ouverture. Les banques AFB ont des contraintes liées à la fois à l'impossibilité d'organiser le travail par équipe et au respect des deux jours de repos consécutifs dont le dimanche. De ce fait, comme les gens veulent aller chercher leurs billets et faire leurs opérations de banque en général plutôt le samedi ou entre midi et quatorze heures, cela a conduit à cette multiplication des guichets automatiques qui, sur le plan de l'arbitrage capital/travail, est parfaitement absurde.

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