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20 septembre 2003

Le foncier, l'immobilier et la ville, bref traite de pathologie française

Les économistes s'évertuent depuis des siècles, avec un succès mitigé, à expliquer comment se forme le prix du sol. C'est un casse-tête pour le législateur qui accumule digues et remparts pour organiser le développement urbain... jusqu'à instaurer la confusion au lieu de « réduire l'incertitude », but officiel de la planification à la française. Cela intéresse le fiscaliste, alléché par ce gisement d'assiette. Cela embarrasse l'élu, qui voudrait bien gérer le territoire de sa commune à la satisfaction des propriétaires, des smicards, des entreprises, des associations écologistes, etc. Cela préoccupe évidemment les promoteurs, publics et privés, pour qui le terrain est la matière première.

La planification urbaine est une vieille histoire en France, depuis la loi Cornudet de 1919 sur «l'aménagement, l'embellissement et l'extension» des villes. Les questions ont peu varié: il s'agit toujours de dessiner la ville, ses réseaux de transport et les grands équipements publics, et de fixer les utilisations possibles de chaque parcelle. On se heurte alors au droit « inviolable et sacré » du propriétaire, consacré par la constitution et défini par le législateur comme comportant « usus, fructus et abusus ».

Le droit public français est écrit et procédural. Il envisage toutes les situations possibles et prétend répondre à toutes les questions sans ambiguïté. Toute réforme ne fait que créer des concepts nouveaux, donc augmente la complexité. L'alternance politique n'arrange rien. Pourtant, des éléments plus qualitatifs s'introduisent progressivement dans notre droit de l'urbanisme. C'est ce que les juristes appellent le « droit subjectif » et les polémistes le droit mou ou flou. Dans la loi sur la conservation du littoral, par exemple, il est question de « hameaux nouveaux intégrés à l'environnement » et d'extension limitée de l'urbanisation dans les «espaces proches du rivage ». La haute administration redoute alors le « gouvernement des juges» et cite en exemple les ravages qu'il commettrait aux USA.

En 1985, un mètre



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Figure n°1 : HLM à Nanterre, Emile Aillaud architecture : pourquoi faire simpl et bon marchhé quand on peut faire cher et compliqué


carré de terrain dans Paris valait environ 7000 francs. En 19891 il valait plus de 20 000 francs. Les propriétaires, au premier rang desquels la Ville et l'État, avaient donc encaissé une plus-value de l'ordre de 1300 milliards de francs. Ces chiffres, frustes qu'ils sont, illustrent bien l'importance du marché et sa volatilité.

Le sol n'est pas un bien économique comme les autres. il est à la fois public et privé. « La maison appartient à celui qui la regarde » disait Lao Tseu. Le sol a une valeur d'usage en même temps qu'il est producteur de plus-value. On assiste à deux phénomènes dont les modèles macro-économiques ne savent pas rendre compte de façon satisfaisante. D'abord, la dualité dans l'évolution des marchés: les prix augmentent le plus vite dans les zones où ils sont déjà les plus élevés, tandis qu'ils régressent dans les zones où ils étaient déjà bas, alors que la logique économique voudrait un phénomène de vases communicants. Ensuite, il y a la « bulle spéculative», qui porte le prix au-dessus de la valeur« fondamentale» et appelle à terme une correction. L'inertie et le coût élevé de transaction devraient décourager les amateurs d'aller-retour bénéficiaire, donc le décollage de la spéculation.

Lorsque la bulle se dégonfle, le propriétaire n'accepte pas de revenir au prix d'avant. Il attend la prochaine bulle, sauf cas de force majeure. Le marché se gèle, alors que les besoins demeurent. Un cycle engendre le suivant. Cette observation suggère une politique interventionniste des pouvoirs publics, pour constituer des réserves à utiliser à contre cycle, et pour infléchir l'évolution des prix par la fiscalité. On peut aussi libéraliser l'usage du sol, avec l'espoir que davantage de terrains constructibles rendront le marché fluide et sage. Cette dualité des visions fracture les partis politiques de l'intérieur plus encore qu'elle ne les divise à l'extérieur. Il y a les archaïques et les modernistes, les passifs coupables de rétention et les spéculateurs assoiffés du sang des autres. C'était Albin Chalandon, Ministre



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Figure n°2 : Mussolinerie à la Bofill : place de la Catalogne ( Paris XIV )


de l'Équipement en 1971 et pas précisément homme de gauche, qui ne voyait de solution à long terme que dans la « collectivisation des sols sans dire le nom ».

Si l'on écarte une telle intervention, il ne reste plus qu'à redessiner le cadre juridique et fiscal de façon à réconcilier les intérêts public et privé. Le premier problème est celui de la récupération des plus-values foncières induites par les travaux effectués par la collectivité ; dit autrement, il s'agit de faire payer les équipements par les propriétaires des terrains dont la valeur augmentera du fait des équipements nouveaux. On a beaucoup réfléchi, on a préparé moult réformes, mais rien n'y fait: l'impôt foncier est d'autant plus léger que le terrain est bien placé et vaut cher. Dans une déclaration récente, le Ministre du Budget a précisé qu'il ne fallait pas « confondre vitesse et précipitation » et a demandé une rallonge budgétaire d'un milliard de francs pour affiner l'enquête foncière en fonction des différentes catégories de contribuables. Complexité, quand tu nous tiens...

L'article L- 110 de notre code de l'urbanisme dit que le territoire est le patrimoine commun de la nation. L'article 17 de la déclaration des Droits de l'Homme et l'article 544 du code civil détaillent le « droit inviolable et sacré » du propriétaire, sans l'assortir d'obligations sociales dans l'usage de la propriété. La constitution allemande le fait et devrait nous servir de modèle.

Il ne faut pas espérer que le problème disparaisse, ou simplement s'estompe, avec le temps: qui, de nos jours, ne rêve d'échanger ses points de retraite par répartition contre quelques mètres carrés constructibles, à la valeur inviolable et sacrée? Une grande réforme juridique, financière et fiscale est urgente. Mais les louables tentatives de 1962, 1967, 1975 et 1982, qui ont toutes fini honteusement dans un lointain cimetière des éléphants, ne sont pas faites pour encourager les initiatives.

Vincent Renard (Ensce 67) Directeur de recherches

Autrice

Vincent Renard

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