Lorsque les crises financières nous rappellent les fondamentaux économiques
La multiplication des crises financières l'an dernier (Asie, Russie) et dès les premiers jours de 1999 (Brésil) incite à réfléchir sur les mécanismes de transmission des foyers entre les différentes zones émergentes et/ou industrialisées. Beaucoup d'économistes et d'observateurs ont souligné à ce titre le rôle prépondérant des marchés mondiaux de matières premières. Il peut paraÎtre paradoxal qu'à notre époque, la transmission des crises transite encore principalement par le canal des produits de base.
Sans revenir dans le détail sur telle ou telle époque de l'histoire économique de ces derniers siècles, chacun connaît l'importance qu'avalent les matières premières - industrielles ou agricoles - dans les échanges commerciaux entre les continents. Avant le XVIW siècle par exemple, les métaux précieux (or et argent notamment) représentaient ainsi près de 80% des exportations en provenance des colonies espagnoles. L'arrivée massive de populations en provenance d'autres continents (Asie, Europe et Afrique) et 'émergence progressive de nations indépendantes sur le continent sud-américain sont aussi évidemment liées la formidable richesse en matières premières de cette zone : produits énergétiques, métaux précieux et communs (or, cuivre, étain, etc.) ou produits agricoles (café, cacao, etc.).
Rappelons aussi que le début « officiel » de la crise asiatique remonte à juillet-août 1997 (flottement du baht thaïlandais et attaques sur les autres monnaies de la zone) coïncide avec l'amorce du retournement des cours des matières premières sur les marchés mondiaux. Il ne s'agit évidemment pas d'un hasard: la croissance industrielle très dynamique des pays d'Asie a transformé ces économies en d'importants importateurs de produits de base. Ce repli de la demande asiatique n'est évidemment pas le facteur explicatif unique de la chute des cours (-25% en moyenne en dollars sur l'année 1998). La surabondance générale de l'offre, favorisée par des prix relativement rémunérateurs au début de la décennie, a joué dans le même sens. La fragilité et l'opacité des systèmes bancaires, les nouveaux choix industriels opérés et surtout le vieillissement des régimes politiques (Indonésie, Malaisie), causes réelles de la crise en Asie, laissaient aisément deviner que la croissance de la zone serait vraisemblablement longue à repartir.
Pour les pays producteurs de matières premières et surtout pour ceux vivant dans une dépendance forte vis-à-vis de tel ou tel produit, le maintien d'une demande asiatique durablement affaiblie ne pouvait avoir que des conséquences désastreuses. Une analyse simple des échanges extérieurs par pays désignait déjà le nom des victimes potentielles... la Russie bien sûr (le pays tire la majorité de ses revenus à l'exportation du pétrole, du gaz, mais aussi de métaux communs,
comme le nickel ou le zinc), mais aussi les pays d'Amérique latine (Brésil et Argentine, mais aussi Venezuela, Colombie ou Équateur) et d'Afrique, trop souvent oubliés. L'on retrouve à chaque fois l'illustration du fameux paradoxe qui touche beaucoup de grands pays producteurs: l'exploitation de la richesse tirée d'un produit de base déstructure les circuits économiques traditionnels et la sphère productive dans son ensemble. La Russie ou le Venezuela en constituent les exemples les plus marquants. La corruption des milieux politiques et la désorganisation de l'État complètent malheureusement ce tableau affligeant.
Les pays industrialisés, importateurs nets de produits de base (notamment énergétiques), ont été, dans un premier temps, les bénéficiaires de la baisse des cours. Les prix à l'importation chutant, les prix de détail n'augmentent que très faiblement (surtout lorsque la demande domestique reste molle), libérant du pouvoir d'achat pour les consommateurs. Certains secteurs d'activité, Fortement exportateurs et exposés aux variations de prix sur les marchés mondiaux, subissent toutefois les conséquences directes de la baisse des cours des produits de base. Les graves difficultés rencontrées par la filière porcine en France et en Europe en fournissent hélas - l'illustration. Dans un deuxième temps, face au ralentissement qui touche maintenant un très grand nombre de zones (Asie, Afrique, Amérique latine, Europe centrale, mais aussi Proche et Moyen-Orient), c , est le secteur exportateur européen dans son ensemble - et la croissance économique de VUE en général qui pourraient être sévèrement touchés. L’urgence d'un renforcement de l'aide et de la coopération internationale n'en paraît que plus grande, afin d'éviter que la crise ne devienne mondiale. Une fois encore, à une époque où le progrès technique et l'innovation ne cessent nous étonner, ce sont les échanges mondiaux de produits de base qui auront, comme très souvent dans le passé servi de catalyseur. Mais ce n'est pas le premier paradoxe les concernant…
Arthuro PALERMO
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