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09 octobre 2008

Le rôle des collectivités locales dans les politiques de services publics, une comparaison européenne

Publié par Dominique Hoorens, Dexia Crédit Local | N° 34 - Les métiers de l'environnement

Depuis les lois de décentralisation, les lois Defferre, dont nous venons de fêter le 25ième anniversaire, on a pu assister en France à la montée en puissance des collectivités locales, chargées progressivement de compétences nouvelles et devenues des acteurs économiques et politiques pleinement responsables.


Les collectivités locales sont historiquement les organisatrices des grands services publics de proximité (crèches, eau, déchets, transports…). Ajoutons qu’aujourd’hui plus aucune grande politique publique ne peut être réalisée sans elles : sécurité, formation, lutte contre le chômage, développement économique, protection de l’environnement, action sociale… Les collectivités locales ont souvent pris à bras le corps des actions pour lesquelles les administrations centrales n’avaient pu relever les défis : par exemple les plans de réhabilitation des lycées et collèges mis en œuvre par les régions et les départements à la fin des années 80 ou les transports ferroviaires régionaux. Lors des transferts de compétences, les collectivités locales ont su prendre le relais de l’Etat sans rupture de service pour les habitants. Et elles ont su le faire, ceci est trop rarement reconnu, sans dégrader leur situation financière qui, aujourd’hui encore, reste robuste.

Malgré ces constats plutôt positifs, la décentralisation fait l’objet de critiques récurrentes en France. Certains dénoncent le principe même de la décentralisation, contraire à une logique unitaire et égalitaire (on pourrait leur répondre que la gestion des politiques publiques par l’Etat n’est pas forcément si « égalitaire » que cela ! Ni entre les habitants ni entre les territoires…). D’autres vilipendent l’évolution des dépenses ou de la pression fiscale des collectivités locales. Attention toutefois en cette matière aux messages par trop simplistes ! Certes on peut toujours constater ici ou là, à tel ou tel moment, quelques abus, quelques dépenses somptuaires ou inutiles, et il convient de les dénoncer ; mais ceci ne doit pas conduire à jeter l’opprobre sur l’ensemble des élus locaux qui gèrent le plus souvent leur collectivité avec cœur, prudence et pragmatisme.

A l’heure où s’expriment à la fois une demande de plus en plus forte de services publics accessibles et de qualité et la nécessité de parvenir à une meilleure situation d’ensemble des finances publiques, il est normal de chercher une plus grande efficacité dans la gestion des finances publiques. Dans ce contexte, le poids budgétaire des collectivités locales, près de 200 milliards d’euros de dépenses, amène tout naturellement à s’interroger sur la gouvernance de nos territoires, à la mesure de son efficacité économique ou à son évaluation.

Les collectivités locales, acteurs dynamiques et efficaces

Une manière d’éclairer ce débat consiste à comparer avec les autres pays de l’Union Européenne. Tous les pays européens rencontrent en effet peu ou prou, avec des échelles diverses, les mêmes contraintes : mondialisation économique, vieillissement des populations, équilibre des finances publiques, prise en compte du développement durable… Et si partout les collectivités locales européennes assurent la mise en œuvre des services de proximité envers les populations, elles le font dans des organisations, et avec des modalités très diverses qu’expliquent la taille, l’histoire, le niveau de développement, le modèle politique, économique et social… propres à chaque pays.

L’organisation territoriale et la répartition des compétences entre les collectivités locales restent assez particulières en France mais ce n’est pas, contrairement aux idées reçues, du fait de l’empilement des niveaux d’administration (communes, départements, régions). Les plus grands pays européens (Allemagne, Pologne, Italie, Espagne, voire Royaume-Uni sur certaines portions de son territoire) sont en effet organisés eux aussi en trois niveaux.

En matière d’organisation territoriale, la France se distingue en fait de ses homologues européens sur cinq points.
1. La faiblesse des compétences des régions. En Italie, en Espagne, les 20 Regioni ou les 17 Communidades Autonomas ont des compétences larges en matière d’enseignement, d’action sociale et de santé. Les Länder en Allemagne ou les devolved nations au Royaume-Uni disposent de prérogatives législatives.
2. L’importance du nombre de communes, voire de très petites communes. La France comporte 36 700 des 91 200 communes de l’UE 27 ! Avec des populations similaires voire plus élevées, l’Allemagne compte 12 300 communes, et le Royaume-Uni à peine plus de 400…
3. Le développement plus soutenu qu’ailleurs des entités intercommunales qui exercent des compétences au titre des communes.
4. La relative uniformité de l’organisation et des compétences des différents niveaux de collectivités locales quand nos voisins ont une approche différenciée de la question, aussi bien en matière de statuts, d’organisation territoriale ou de répartition des compétences selon la taille des communes.
5. Le poids des entités déconcentrées de l’Etat (Préfectures en région et département, Sous-préfectures).

La France en Europe: des spécificités exagérées

Le nombre de nos communes constitue-t- il un handicap ? On constate à travers l’Europe tout à la fois, et simultanément dans l’espace et dans le temps, des mouvements tendant à étendre les territoires communaux (fusions, regroupements…) et d’autres visant à les subdiviser (politique des quartiers…). La question de la taille « optimale » d’une commune ne semble donc guère trouver de solution dans le paysage français ou européen ! L’équation entre la proximité nécessaire à la démocratie locale et la taille critique indispensable pour rendre des services au meilleur coût fait intervenir bien trop de variables pour déboucher sur une solution unique ! La question n’est donc pas tant du nombre d’entités que de leur bonne coordination.

En matière de finances publiques, rappelons que la France fait partie des pays européens où le niveau des dépenses publiques est le plus élevé lorsqu’on le mesure en proportion du PIB. En 2006, celui-ci ne dépassait 50 % qu’au Danemark (51.5 %), en France (53.4 %), en Hongrie (51.9 %), en Italie (50.1 %) et en Suède (55.6 %). Ce niveau de dépenses publiques élevé traduit souvent l’importance des fonctions de « redistribution » sociale.

Le poids économique du secteur public local français (environ 11 % du PIB) est plutôt inférieur à la moyenne européenne puisqu’en 2006 les dépenses des entités fédérées, régionales et locales au sein de l’Union Européenne représentent 15.7 % du PIB européen (soit 1 825 milliards d’euros) et plus du tiers des dépenses publiques.
Les collectivités locales françaises sont en effet dotées de moins de compétences en matière sociale, d’éducation (notamment, elles n’assurent pas la rémunération des personnels enseignants), de santé, d’emploi… Par exemple au Danemark, pays considéré parfois comme le plus « décentralisé » en Europe, les communes disposent de compétences très larges puisqu’elles prennent en charge la quasi-totalité des services à la population, par exemple la responsabilité, pleine ou partagée avec l’Etat, du financement de l’organisation et de la fourniture des services de sécurité, d’action et d’aide sociale (assurance maladie, dépendance, maisons de retraite, invalidité, crèches, revenu minimum etc. .). Depuis la réforme de 2007, les communes danoises sont également pleinement responsables de la politique de l’emploi et de celle de l’environnement. Au total le budget d’une commune danoise s’élève en moyenne à plus de 9 000 euros par habitant soit près de 8 fois plus qu’une commune française.

Par contre, en matière d’investissement (construction ou maintien à niveau des voiries, réseaux, bâtiments administratifs, sociaux, culturels, sportifs, d’enseignement…), les collectivités locales françaises sont particulièrement actives. Comme partout ailleurs en Europe, elles portent l’essentiel des investissements publics, et même dans une proportion un peu plus élevée que la moyenne (plus de 70 % contre 65 %). En cette matière elle n’est devancée que par deux pays : l’Italie et l’Irlande.

Cette lecture macroéconomique, pour intéressante qu’elle soit (pour plus d’information le lecteur pourra se référer à la note réalisée annuellement par Dexia, « Finances publiques territoriales dans l’Union Européenne », disponible sur son site internet), doit être complétée par l’examen de deux aspects additionnels de nature politique et économique.

Sur le plan politique tout d’abord, c’est la question du degré de liberté d’action et de décision des collectivités locales qui est cruciale, question que ne permet pas d’éclairer la seule lecture du poids macroéconomique du secteur public local et qui aboutit au fait que sous le vocable de collectivités locales soient parfois regroupés des entités à l’autonomie politique très variée : d’une pure administration délocalisée géographiquement à un véritable petit état. Dans certains pays européens, dans certains domaines de compétences, les collectivités locales servent parfois simplement de relais à l’action de l’Etat central, voire peuvent apparaître comme de simples « guichets », par exemple dans les nouveaux Etats membres de l’UE, mais pas uniquement. L’exemple du secteur public local irlandais dont le rôle primordial d’investisseur a déjà été souligné, illustre particulièrement bien cette situation : en effet les local councils sont le plus souvent des courroies de transmission permettant la mise en œuvre, avec un pouvoir discrétionnaire limité, des programmes nationaux d’investissement.
Les marges de décision des collectivités locales sur leurs dépenses sont également limitées par les contraintes imposées par le législateur national ou européen. Les dépenses de mise aux normes, sous l’effet notamment des réglementations européennes (déchets, eau…) sont de plus en plus prégnantes dans les budgets locaux. On ajoutera enfin toutes les règles comptables ou financières imposées aux collectivités locales, plus ou moins contraignantes d’un pays à l’autre.

En la matière, les collectivités françaises disposent globalement de marges de manœuvre plutôt importantes, car elles bénéficient d’une clause de compétence générale qui leur permet de se saisir d’un sujet touchant leur territoire dès lors que cette compétence n’a pas été expressément attribuée à un niveau de collectivité locale par le législateur.
Elles disposent également d’un pouvoir fiscal assez élevé. Communes, communautés, département, régions votent notamment les taux d’imposition des quatre taxes directes locales : taxe d’habitation, taxes foncières (sur le bâti et le non bâti), taxe professionnelle. Cette flexibilité fiscale leur permet de financer les services à la population et le développement de leur territoire. Le caractère archaïque de cette fiscalité locale et ses conséquences en matière de complexité, d’inégalités de situation ou d’injustices entre contribuables et entre territoire dépassent le champ de cet article. Mais ils permettent de relever que la décentralisation en France ne s’est pas traduite, contrairement à ce qui se passe ou s’est passé dans d’autres pays européens, par une redéfinition du cadre des ressources des collectivités locales, ni par une réelle redistribution des cartes en matière fiscale entre l’Etat et les collectivités locales. Et on ne peut que se féliciter des démarches récentes entreprises en la matière.

La difficile évaluation de l’efficacité de l’action publique

Sur le plan de l’économie politique enfin, il s’agit d’évaluer les conséquences économiques de cette diversité du rôle des acteurs publics dans les différents pays européens. En clair, plus ou moins de « décentralisation » conduit-il à une plus grande efficacité économique ? L’impact des dépenses publiques sur l’économie (impact généralement positif de la dépense, mais impact négatif du prélèvement fiscal) fait couler beaucoup d’encre entre économistes, et on se gardera bien de conclure ici ! Et ceci d’autant plus concernant les seules politiques publiques locales pour lesquelles les données ou mesures sont généralement lacunaires.

Soulignons toutefois, d’un point de vue purement pragmatique :
1. que la croissance économique a été particulièrement soutenue ces dernières années dans tous les nouveaux Etats membres, dont l’économie est dynamisée par l’entrée au sein de l’UE et où la décentralisation a été une des ;
2. que la corrélation entre organisation territoriale et dynamisme économique au sein des 15 plus anciens membres de l’UE n’est pas si simple ! Les performances les plus remarquables, avec des croissances annuelles supérieures à 3 % l’an sur la période, ont été réalisées en Irlande, au Luxembourg et en Grèce (pays au faible niveau de dépenses publiques et au faible niveau de décentralisation) puis l’Espagne (faible niveau de dépenses publiques, forte décentralisation) et la Finlande (fort niveau de dépenses publiques et de décentralisation). Viennent ensuite le Royaume-Uni (position moyenne) et la Suède (fort niveau de dépenses publiques et de décentralisation). Les autres pays ont des scores homogènes, hormis l’Italie et l’Allemagne longtemps en queue de peloton. On se gardera donc de faire du positionnement des dépenses publiques et des dépenses publiques locales le seul facteur explicatif de cette plus ou moins bonne croissance dans des économies aussi mouvantes, aussi ouvertes, et aux caractéristiques aussi diverses ! Si la croissance moyenne en France est globalement proche de la moyenne européenne (+2 %), elle se caractérise par une volatilité plus faible. Cette relative stabilité est peut-être l’effet du niveau important de dépenses publiques, plutôt centralisées.

Si le lien entre croissance économique et dépenses publiques devient de plus en plus complexe à analyser en France, c’est aussi que la limite entre les « sphères » publiques et privées devient de plus en plus floue. Dans le domaine de la protection sociale le recours plus ou moins obligatoire aux mutuelles complète le versement des cotisations sociales ; dans le domaine des services publics, on voit se développer différents types de partenariats publics/privés dans la gestion des services ou la réalisation des investissements.

Il apparaît enfin que la mesure de l’efficacité des dépenses publiques est handicapée par le défaut d’évaluation ainsi que par l’absence d’objectifs quantifiés.
Un tel flou ne permet par conséquent pas d’analyser l’impact de la décentralisation.
Connaît-on par exemple un domaine de compétence dont la « décentralisation » ait été précédée d’une réelle phase de négociation des modalités et des objectifs entre l’Etat et les collectivités locales ? Au mieux s’est-on livré à un exercice de mesure du coût des interventions de l’Etat et on en a fait la référence, comme si ce que l’Etat faisait était bien adapté ! (ou alors à quoi bon décentraliser !).
Cette culture de l’évaluation des actions publiques et des actions publiques locales semble bien plus ancrée au Royaume-Uni ; de même que la culture de la négociation et de la concertation est plus ancienne dans les pays du Nord de l’Europe. Leur mise en place en France permettrait d’affirmer clairement que la décentralisation n’est pas de la part de l’Etat qu’un simple « défaussement » visant à alléger sa contrainte budgétaire.

Autrice

Dominique Hoorens, Dexia Crédit Local

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