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16 janvier 2004

Eryck Rebbouh, co-président d'Aegis Media Europe, ENSAE 1979

Publié par Stéphane JUGNOT | N° 23 - London Calling

Depuis le mois de juin 2003, Eryck Rebbouh (Ensae 1979) est co-président d'Aegis Média Europe, qui chapeaute les activités de conseil aux médias du groupe britannique Aegis sur le continent. Commencé en 1980 à la régie publicitaire de RTL, son parcours de 23 ans dans le monde des médias et du marketing épouse l’évolution d’un secteur sans cesse mouvant et innovant. A travers son expérience, Eryck Rebbouh nous raconte ces mutations, dont il fut l’un des acteurs majeurs avec son duettiste Bruno Kemoun, par leur rôle au sein du groupe Carat. Présent dans 46 pays, avec 4300 personnes dont plus de 700 en France, et 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 5e réseau mondial de conseil média, numéro un en Europe avec une part de marché de plus de 25% en France, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni, Carat est l’un des piliers d’Aegis Média.


Je suis rentré à l'Ensae en 1976. J'avais fait les classes préparatoires, sup et spé. J'étais attiré par les mathématiques plutôt que par la physique. D’une part, l'Ecole m'intéressait pour la double formation qu'elle proposait, c’est-à-dire des mathématiques et des cours théoriques de statistique et, d’autre part, une vraie formation d'économiste. A cette époque – je ne sais pas si elle existe toujours - il y avait d'ailleurs, lors du concours d’entrée, une épreuve de culture générale sous forme de grand oral assez original.

Après les classes préparatoires, c'était un vrai changement, un élargissement de l'horizon.

Je garde un très bon souvenir de mes trois années d'école. Les professeurs étaient excellents. J'ai notamment eu la chance d’avoir Monsieur Malinvaud en cours. Au début, Jean-Claude Milleron était le directeur de l'Ecole. Paul Champsaur, l'actuel président de l'Autorité de régulation des télécommunications, lui a succédé. Le caractère pluridisciplinaire de l'enseignement m'a beaucoup marqué. En particulier, les ouvertures à l'économie, à la sociologie et au marketing. Après les classes préparatoires, c'était un vrai changement, un élargissement de l'horizon.

A la sortie de l'Ecole, le choix a été difficile. Mon premier objectif était de travailler rapidement. Je me suis retrouvé au service statistique de l'UAP. Je n'y suis pas resté longtemps. C'était un univers intéressant mais très spécifique, très hiérarchisé avec un vrai jargon. C'était un monde un peu ancien. Au bout d'un an, on m'a proposé de faire des études d'actuariat et, dès lors, il m’a fallu faire un choix : me lancer dans une carrière dans l'assurance ou me réorienter.

A l'Ecole, j'étais plutôt attiré par le marketing et le consulting mais aucune opportunité immédiate et intéressante ne s'est présentée lorsque j’en suis sorti. L'ENSAE ouvrait sur une large palette de carrières : études économiques à EDF, conjoncture à Paribas, consulting en organisation ou Audit chez Arthur Andersen… Par contre, les média et la pub, c'était un peu un chemin de traverse.
Mais j'avais pu rencontrer à l'UAP le responsable marketing de la société - il avait lancé une campagne qui a marqué l'époque avec son slogan "UAP 22", qui s'appuyait de façon originale sur un call center.

J'y ai découvert un univers plastique, avec des possibilités d'avoir rapidement des responsabilités.

Il m'a permis de faire des rencontres dans le monde des agences et des média où œuvrait déjà mon binôme ENSAE, Pierre Doré. J'ai alors pu rentrer à la régie du groupe RTL en 1980. IP, régie de RTL, disposait de beaucoup de moyens à consacrer au marketing et aux études. J'y ai découvert un univers plastique, avec des possibilités d'avoir rapidement des responsabilités. Pendant un an et demi, je me suis occupé de concevoir les outils marketing pour valoriser les audiences de la station et façonner de façon attractive son offre publicitaire..

Comme à cette époque, dans le monde de la publicité, tout le monde disait qu'il fallait œuvrer dans une agence de création, j’ai, en 1981, rejoins Bélier Conseil, une agence du groupe Havas qui était alors en pointe et que dirigeait Claude Douce, son fondateur. J'étais responsable média, investi de réelles responsabilités, sans être bridé. C'est là que j'ai rencontré Bruno Kemoun, une vraie rencontre, la découverte de quelque chose de tout nouveau : la possibilité de progresser à deux, en associant nos efforts, plus tard celle de créer notre propre entreprise… Nous avons ainsi fondé ensemble 2010 Média en 1985. C’était le début de notre aventure commune avec Carat. Il nous semblait que le métier de conseil média était très sous-estimé par les agences alors qu’il intéressait de plus en plus les annonceurs. Les agences de création étaient généralement structurées en trois pôles. Un pôle créatif d'abord, qui constituait la vitrine de l’agence.. Venait ensuite le pôle commercial, qui servait d'interlocuteurs aux annonceurs. On y trouvait pas mal de diplômés d'écoles de commerce formés sur le tas. Le dernier pôle, le pôle média, était le moins fondamental. Il avait souvent un rôle cantonné à la logistique. Notre combat au sein de Bélier, puis avec 2010 Média, fut de faire évoluer la relation avec les annonceurs, pour une juste prise en compte de la dimension stratégique et économique du conseil média.

Nous sommes partis de zéro, avec un téléphone pour deux dans une pièce.

Nous avons jugé que les circonstances étaient favorables, avec l'explosion des médias et l'évolution de la fonction marketing chez les annonceurs. L'explosion des médias a commencé en 1981 avec l'ouverture de la bande FM et la multiplication des réseaux, NRJ, RFM… En faisant entendre un son nouveau, ils ont offert des nouvelles possibilités d'investir. Puis la déréglementation de la télévision, la privatisation de TF1 en 1986, puis la création de Métropole TV. Avec la fin de la pénurie de l'offre publicitaire, la fonction de conseil devenait essentielle. Les annonceurs en ont pris conscience. Leurs attentes dans le domaine de la communication et des média sont devenues beaucoup plus sophistiquées. Les objectifs pour leurs retours sur investissement d’abord essentiellement quantitatifs ont progressivement intégré de plus en plus de performances qualitatives.

Créer notre propre entreprise de conseil média, avec Bruno Kemoun, nous a semblé praticable … et grisant. Nous avons donc fait le saut, avec l'appui de Gilbert et Francis Gross, les fondateurs de Carat. Nous sommes partis de zéro, avec un téléphone pour deux dans une pièce. Puis nous avons grandi peu à peu, en gagnant des clients.

Nous avons ensuite fondé Carat TV, première société spécialisée sur ce média en France. Pascal Josèphe, qui avait été patron des programmes à TF1 avant la privatisation nous a rejoint pour inventer Carat TV. Carat TV allait au-delà des activités traditionnelles d'études d'audience et d'analyse des tarifications en proposant pour la première fois des analyses poussées des programmes, et des audiences, ainsi que des études sur les comportements et les attentes des téléspectateurs. Parallèlement, nous avons également développé l'optimisation des plans TV (le principe est de pouvoir adapter une campagne publicitaire aux évolutions des programmes et des tarifs qui surviennent régulièrement entre le moment où l'annonceur prend la décision de réserver une campagne et le moment où elle est diffusée).

Enfin, nous avons développé les autres centres d'expertise spécialisés du groupe Carat : Carat Presse, Carat Radio et Carat Cinéma.

La loi Sapin a été une véritable secousse pour l'entreprise. Il a fallu prendre un virage stratégique

La loi Sapin, votée en 1992, marque une nouvelle étape. Elle a bouleversé le paysage en obligeant les diffuseurs à facturer directement leurs prestations



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Figure n°1 :


aux annonceurs, sans passer par l'intermédiaire des sociétés d'achat d'espaces. Carat était alors leader en France dans ce domaine. C'était sa principale activité. La loi Sapin a donc été une véritable secousse pour l'entreprise. Il a fallu prendre un virage stratégique, repenser la gestion de l'entreprise, redéfinir son business model. J'ai évolué alors, avec Bruno Kemoun, vers le management de Carat France.

Ce fut un moment difficile sur bien des plans mais surtout parce qu'il a fallu réduire les effectifs pour les faire passer de 550 à 300. Mais nous étions le dos au mur, Carat France était le pivot économique du réseau international de Carat. Il fallait dans l'urgence montrer aux banques et aux actionnaires que notre nouveau modèle serait profitable. Ce fut douloureux mais aussi très formateur.

Nous avons ensuite pris en charge le management de Carat France, puis de Carat Europe du sud (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce) et, finalement, de Carat Europe. Dans tous ces pays, l'univers-métier est le même, la problématique analogue : faire en sorte que la communication créée un avantage compétitif pour les marques et que cela puisse se mesurer par un retour sur investissement. Partout, les média sont à la fois pour les marques une puissance de feu et un moyen de développer une relation unique, un pouvoir d'attraction et une possibilité de relation avec un public ciblé.

SJ- Dans votre parcours, le duo que vous formez avec Bruno Kemoun est assez original. Comment le définiriez vous ? Substituabilité ou complémentarité ?
ER- Je n'avais encore jamais abordé notre relation de cette façon ! Nous avons un fonctionnement, une dialectique qui nous convient à tous les deux. Substituables parce que nous n'avons pas de domaines réservés. Complémentaires parce que, face à un problème, nos approches sont différentes. Dès le début, cela a été un facteur d'irritation pour les autres parce qu'un duo est plus difficile à gérer dans une organisation – on nous a d'ailleurs souvent demandé de nous séparer. Mais c'était aussi un facteur d'intérêt et nous avons essayé de rendre leur confiance à ceux qui y ont cru, je pense notamment à Gilbert Gross. ceux qui y ont cru, je pense notamment à Gilbert Gross

Nous avons la chance de participer à l'élaboration et à la construction de notre métier qui est loin d’être figé.

Dans notre métier, le renouvellement de l'intérêt provient d’abord du perpétuel renouvellement de l’univers dans lequel nous opérons, celui des marques, des média et des consommateurs. Les habitudes des consommateurs changent. L'offre média se renouvelle sans cesse : des magazines se créent, des nouveaux média apparaissent, comme internet. Des nouveaux métiers se développent, comme le street marketing (distribution d'échantillons dans la rue), ou l'association des marques aux sports et aux événements culturels. Quand nous créons Carat Culture, c'est une vraie novation sur le marché. Nous sommes partis du constat qu'il existe un gisement d'événements culturels et que les marques n’y sont pas du tout associées.. D'où l'idée de jeter un pont entre les deux univers avec tout le respect dû à la dimension culturelle. Quand nous créons Carat Sport, c'est le même principe.

Le renouvellement de l'intérêt vient aussi de problématiques clients très variées, passant du monde de l'industrie à celui des services ou des campagnes d'intérêt général. Ce sont autant d'occasions de rencontrer et d'échanger avec des responsables de qualité aux profils très différents.

Enfin, le métier de la communication est un métier assez jeune. Nous avons donc la chance de participer à l'élaboration et à la construction de notre métier qui est loin d’être figé. C'est une chance inouïe. En 1997, nous avons par exemple souhaité obtenir pour Carat une certification ISO. Il a alors fallu codifier notre métier dans tous ses aspects et définir, d'une certaine manière, les standards de la profession.

Notre univers croise à la fois le scientifique et l’intuitif

Au départ, la publicité était sans doute plutôt un monde de "saltimbanques" formés pour l'essentiel sur le tas. Rien ne valait mieux que l'expérience. Mais les choses ont beaucoup changé. L'importance des diplômés des grandes écoles augmente d'année en année chez Carat et ailleurs. Cela répond à une attente et les grandes écoles et les universités l'ont d'ailleurs compris, ce qui a d'ailleurs facilité cette évolution. Le croisement des cultures est très important dans notre métier puisque notre univers croise à la fois le scientifique - avec ses modèles, ses études, ses prévisions, et l'intuitif, avec les analyses et les recommandations stratégiques. Il existe à la fois un support rationnel fort et une possibilité d'exprimer ses propres convictions. De ce point de vue, c'est une terre d'élection pour les ENSAE, qui sont par formation, des scientifiques de haut niveau avec un esprit ouvert aux dimensions intuitives. C'est du moins comme cela que j'ai vécu la formation de l'Ecole.

Les Anglais ont une relation beaucoup plus mature et adulte avec les clients

Notre maison mère est basée à Londres. Notre groupe est pluri-culturel, d'origine française, avec un holding anglais. C'est un bon poste d'observation des différences de culture qui existent entre les deux rives de la Manche. Les anglo-saxons possèdent une très forte culture de la délégation. Un manager anglais s’équipe humainement tout de suite. Par rapport aux Latins, il existe ensuite un grand décalage de savoir faire dans le souci de la forme, dans la présentation des documents, cela semble presque génétique chez les Anglo-saxons. Cela s’observe dans l'entreprise à tous les niveaux de responsabilité.

Ce qui frappe aussi, c'est la relation entre la société de service et le client. Peut-être parce que Londres est la Mecque des services, les Anglais ont une relation beaucoup plus mature et adulte avec les clients. Par exemple, dans sa relation de prestataire de service, un Anglais refusera plus spontanément de travailler pour rien si un client souhaitait aller très au-delà des limites strictes de sa demande initiale. Et le client le comprendra et l'acceptera sans difficulté. D'une certaine manière, cela revient à dire que le conseil est une activité dont le statut y est plus reconnu et qu'il y est rémunéré de façon plus juste.

En guise de conclusion, je pense qu’il faudrait renforcer le marketing de l’Ecole. Sa notoriété est trop faible et elle a tendance à trop typer sa formation alors qu’avec le recul, on s’aperçoit qu’elle produit des individus capables d’occuper des postes dans des univers extrêmement divers. L’Ecole n’a pas le rayonnement en terme d’image qu’elle mérite alors que son apport, mêlant le scientifique et l’intuitif, est de plus en plus recherché par les entreprises.

Autrice

Stéphane JUGNOT

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